Chaque année, c’est à Paris que se tient le plus gros événement mondial du tatouage. Dès ce matin, et pendant trois jours, des tatoueurs venus des quatre coins de la planète exposeront leur art à la Villette, graveront les peaux des nombreux visiteurs et présenteront les dernières encres à la mode.
Paris, capitale du tatouage ? Difficile de l’envisager, alors que la France fait partie des grandes absentes d’un projet européen visant à mettre au point une norme sur le tatouage. Lancée à l’initiative de l’Allemagne, cette convention de « bonnes pratiques du tatouage » a pour objectif d’harmoniser les usages au sein de la communauté européenne, où de grandes disparités de réglementation existent selon les pays.
La norme sera fondée sur le volontariat : seuls ceux qui le souhaitent l’appliqueront et seront à ce titre distingués, par le biais d’un registre ou d’un label. Elle devrait embrasser des thèmes aussi variés que l’hygiène, la stérilisation, les locaux, la gestion des déchets, ou encore les modalités d’information du consommateur. La publication de cette charte européenne est prévue pour 2017, à l’issue de négociations impliquant les tatoueurs, bien sûr, mais aussi des formateurs et des vendeurs d’encre.
« Concurrence déloyale »
Une première réunion avec les pays participants s’est tenue le 5 décembre dernier. « Nous y sommes allés en simples observateurs, puisque nous n’avons pas rassemblé suffisamment de participants pour représenter la France », déplore François Thomassin, chef de projet AFNOR (Association française de normalisation). Cet organisme s’est en effet donné pour mission de former une commission afin de représenter les professionnels du tatouage. Mais ce n’est pas chose aisée.
« Il y a une forme d’appréhension car en France, la réglementation est très présente et assez stricte. Du coup, beaucoup de professionnels s’interrogent sur l’utilité de cette norme européenne et l’intérêt d’y contribuer », explique François Thomassin. Or, selon AFNOR, une telle norme permettrait de réduire les distorsions législatives entre Etats laxistes et réglementaristes, qui créent une forme de « concurrence déloyale ».
Ecoutez François Thomassin, chef de projet AFNOR : « En France, de nombreuses contraintes s’imposent aux tatoueurs français, alors qu’au Danemark, il n’y a pas de réglementation propre au tatouage. »
Améliorer la matério-vigilance
La commission a tout de même réussi à obtenir la présence du SNAT (Syndicat national des artistes tatoueurs), la plus grande association de tatoueurs français. « En plus d’harmoniser les pratiques, cette norme permettrait d’améliorer la matério-vigilance sur les encres, leurs effets sur la population, les risques d’allergies et de complications, estime Olivier Laizé, porte-parole du SNAT. On aurait un meilleur contrôle qualité et sécurité sur les produits qui circulent dans l’espace européen ».
Selon le SNAT, la norme européenne pourrait inspirer les règles françaises, « parfois inadaptées aux réalités ». « Par exemple, quand un tatoueur étranger vient faire un salon en France, il doit suivre une formation à l’hygiène de plusieurs heures. Elle n’est valable que le temps du salon ; il doit la repasser à chaque fois qu’il revient en France ! Certains tatoueurs passent parfois dix fois le même programme dans la même année, ce qui est contre-productif ».
Ecoutez Olivier Laizé, porte-parole du SNAT : « Les tatoueurs ont la volonté de faire les choses correctement, tant au niveau artistique qu’au niveau sanitaire. »
Un vrai statut pour plus de sécurité
Malgré des revendications communes, certains tatoueurs ne voient pas d’un bon œil la formation de cette commission par le biais de l’organisme AFNOR. L’association Tatouage & Partage, qui regroupe près de 600 membres, s’interroge notamment sur le montant demandé aux participants. « AFNOR a calculé qu’il lui faudrait 50 heures de travail et 100 000 euros de budget pour mettre en avant les demandes des tatoueurs français… Alors qu’en une heure, on peut faire le travail ! », s’exclame Cécile Chaudesaigues.
La fondatrice de l’association aurait ainsi préféré être représentée par le Ministère de la Santé, ou la Direction Générale de la Santé. Elle a par ailleurs trouvé d’autres moyens de faire valoir ses revendications. « Nous sommes en contact direct avec Andy Schmidt, à l’origine de ce projet européen, explique-t-elle. Pour nous, l’unique moyen d’assurer la sécurité des consommateurs est de créer un véritable statut de tatoueur, avec une formation reconnue. Cela permettrait d’éviter les abus ».
Ecoutez Cécile Chaudesaigues, fondatrice de Tatouage & Partage : « N’importe qui peut être tatoueur aujourd’hui ! Il n’y a aucun examen pour valider la formation à l’hygiène, les fournisseurs d’encre vendent à n’importe qui… »