« Allez, on crie plus fort ! Ici, c’est la MG Pride ! ». Sur un char MG France, un manifestant chauffe les foules en se trémoussant. La marche va commencer. Les formations s’installent en tête de cortège, parmi les fumigènes et les ballons, en diffusant de la musique électro à pleine sono. Ambiance techno parade.
« Enterrer la médecine libérale »
La comparaison s’arrête là. A la place des fêtards parisiens, des milliers de médecins, chirurgiens et spécialistes en blouse blanche et t-shirt floqués aux couleurs des syndicats, sont venus battre le pavé ce dimanche. 40 000 selon les manifestants, la moitié selon la police. Et malgré les mines réjouies, le motif de déplacement est grave : ils « enterrent la médecine libérale ».
Aujourd’hui, le ciment, c’est la colère. Les motifs diffèrent, parfois de manière paradoxale, mais le sentiment est unanimement partagé. Oubliées, la guerre entre le privé et le public, la compétition entre les hôpitaux et les cliniques. « Ca fait du bien de se retrouver tous ensemble ! D’habitude, il n’y a pas vraiment de solidarité entre médecins, mais là, l’ambiance est super », se réjouit Laurence, 53 ans, médecin généraliste dans l’Essonne. L’opposition au tiers payant fédère plus que jamais, les uns préférant ne pas en entendre parler, les autres émettant des doutes sur sa faisabilité.
Ecoutez Laurence, médecin généraliste dans l’Essonne : « Le dispositif n’est du tout au point ! »
Défendre un modèle
La plupart des manifestants sont venus défendre une vision, un modèle, dont ils soupçonnent le gouvernement de programmer la destruction. « Les libéraux ne veulent pas d’une administration envahissante. Le gouvernement doit l’entendre, martèle Hadelin, 44 ans, ORL en Indre et Loire. Pourquoi vouloir à tout prix nous imposer le tiers payant généralisé ? Nous y serions tous venus petit à petit ».
« Politique soviétique », « usine à fonctionnaires », selon les slogans, les mesures phares de la loi de santé ne passent pas. Et la future génération de médecins ne semble pas davantage acquise à la cause du gouvernement. Aux côtés des internes venus dénoncer les conditions de leur exercice à l’hôpital, de nombreux étudiants défilent pour exprimer leur inquiétude sur l’avenir du médecin libéral, avec la réorganisation des soins par les ARS (Agences régionales de santé). « Si on se tape dix ans d’études, c’est aussi pour pouvoir s’installer comme on l’entend, insistent Thomas et Léo, 21 ans, qui viennent d’entamer leur externat de médecine à Nice.
Ecoutez Thomas et Léo, étudiants en 4e année de médecine à Nice : « En médecine, ce qu’il y a de plus intéressant, c’est le libéral ».
Des électeurs déçus
Ils sont minoritaires, mais parmi la foule se trouvent quelques électeurs de François Hollande, particulièrement remontés contre le gouvernement. « J’ai été trahie, peste Jeanne, généraliste en Maine-et-Loire. J’ai toujours voté à gauche. Comment Marisol Touraine peut-elle prétendre mener une politique socialiste ? ». Un mot est sur toutes les bouches : « mutualisation ». « Les mutuelles font déjà de la rétention d’honoraires, alors je n’ose pas imaginer quand le tiers payant sera généralisé », accuse Jeanne, qui craint la naissance d’un « système à plusieurs vitesses ».
Ecoutez Jeanne, généraliste en Maine-et-Loire : « Les mutuelles vont augmenter leur cotisations. C’est l’américanisation de la santé ! »
Marisol Touraine chahutée
Au-delà des revendications sociales, beaucoup de manifestants expriment une profonde amertume envers Marisol Touraine, accusée de « mépriser » la profession. Les caricatures, les sobriquets et les calembours sont partout. Sur un char CSMF, une femme revisite au mégaphone des chansons à destination de la ministre. Les attaques, directes, crûes, parfois dures, témoignent d’une incompréhension croissante entre les médecins et le gouvernement.
Ecoutez les chansons revisitées de la manifestation
C’est dans ce climat peu apaisé que la ministre de la Santé a rencontré les responsables syndicaux à l'issue de la manifestation. Elle « n'a pas bougé du tout », ont déploré à la sortie les médecins. Une fois de plus, les signes d'apaisement ne les ont pas rassurés. « Les Français attendent que le système de santé soit transformé pour mieux répondre à leurs attentes. Cette transformation bien sûr ne se fera pas sans les médecins, elle se fera avec eux », a pourtant déclaré Marisol Touraine. Des amendements auraient été déposés à l'Assemblée nationale qui « permettent, selon elle, de répondre aux préoccupations » exprimées.