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QUESTION D'ACTU

Examen au Sénat

Proposition de loi : pénaliser les clients porte atteinte à la santé des prostituées

Les sénateurs s'apprêtent à examiner en séance publique la proposition de loi sur la prostitution. Le pénalisation des clients, abrogée cet été, pourrait être réintroduite, au grand dam des associations de terrain.

Proposition de loi : pénaliser les clients porte atteinte à la santé des prostituées SINTESI/SIPA




« C’est à n’y rien comprendre. Nous avons recommencé les auditions alors que nous avons déjà voté le texte. Il y a des pressions très fortes du gouvernement depuis l’affaire DSK ! L’exécutif veut un texte d’affichage, moralisateur, c’est absurde et contre-productif… »

Démission au Sénat
Esther Benbassa, sénatrice EELV, ne décolère pas. Depuis quelques temps, à la commission sénatoriale en charge de la loi sur la prostitution, l’ambiance est explosive. Son président, le socialiste Jean-Pierre Godefroy, a jeté l’éponge et présenté ce mercredi sa démission, à quelques jours de l’examen au Sénat de la loi.

Et pour cause… Présenté en grande pompe par Najat Vallaud Belkacem en 2013, le texte devait être une « avancée sociale majeure » en faveur des droits et de la protection des prostituées. Mais il pourrait surtout se retourner contre elles. Au cœur de la bataille législative et politique : la pénalisation des clients. « Ce sont les personnes prostituées qui seraient pénalisées, avec des effets certainement équivalents, voire plus graves, que ceux engendrés par le délit de racolage public. Nous faudra-t-il encore dix ans pour comprendre l’erreur ? », déplore Jean-Pierre Godefroy dans un billet publié sur Mediapart.

Cette disposition aurait permis de distribuer des amendes de 1500 euros à toute personne ayant recours à la prostitution. Votée en 2013 à l’Assemblée Nationale, elle devait refléter la position « abolitionniste » de la France, qui considère la prostituée comme victime et non coupable. A l’époque, les députés ont également abrogé le délit de racolage passif, afin de faire porter la charge pénale sur le client.

Mais l’été dernier, la commission sénatoriale a supprimé l’article 16 sur la pénalisation des clients. « Punir le client a des conséquences désastreuses sur la santé des prostituées », martèle Esther Benbassa. C’est pourtant ce dispositif que le gouvernement tente à tout prix de réintroduire dans la loi par voie d’amendement.

Ecoutez Esther Benbassa, sénatrice EELV : « Le Parlement a voté en faveur du texte car les hommes, majoritaires, avaient peur d’être considérés comme des clients. »


Dans les bois, tenues à l’écart des soins
Entre les positions abolitionnistes, réglementaristes et prohibitionnistes, difficile de s’y retrouver. Le sujet fâche et ne semble trouver aucun consensus politique. Sur le terrain, toutefois, la plupart des associations qui viennent à la rencontre des prostituées ont tranché : ce sera le pragmatisme.

« Très concrètement, en dehors de tout argument moral, il faut comprendre que la pénalisation des clients a les mêmes effets délétères que le délit de racolage, explique Fred Bladou, militant pour l’association AIDES. Ces mesures forcent les travailleuses du sexe à se planquer. Elles s’éloignent des centre-ville et des lieux dans lesquels elles sont identifiées, pour s’isoler dans les campagnes, les routes nationales et le fin fond des bois ».

Là, elles perdent tout contact avec les associations qui, au cours de leurs maraudes, font de la prévention, distribuent des préservatifs, leur viennent en aide si besoin. Cette action associative essentielle a d’ailleurs été reconnue dans un rapport de l’IGAS comme l’une des rares ayant, à ce jour, prouvé une certaine efficacité en termes de santé des prostituées, dans un cadre institutionnel parfaitement impuissant.

Ecoutez Fred Bladou, militant pour l’association AIDES : « Maintenant, il faut faire 40 kilomètres autour de la ville pour les trouver... En stigmatisant les prostituées, on ne les incite pas à prendre soin de leur santé. »


Risque accru d'Infections Sexuellement Transmissibles
L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on… En cherchant à protéger les prostituées, le gouvernent pourrait bien les exposer à des risques accrus de développer des Infections Sexuellement Transmissibles (IST). En mars 2013, un rapport de l’InVS montrait que, malgré une santé globalement déclinante, les prostituées ont tendance à se protéger lors des rapports sexuels.

« C’est une condition qu’elles pourront de moins en moins négocier si on pénalise le client, précise Fred Bladou. Lorsqu’elles sont isolées, les clients sont plus rares - du moins, pour la prostitution de rue - et elles doivent garder le même niveau de revenu, subvenir à leurs besoins. Quand on a le choix du client et des tarifs, quand on se sent en sécurité, il est beaucoup plus facile d’imposer le préservatif ».

Déplacer la prostitution
En fait, la pénalisation du client n’aurait aucun effet sur la prostitution, si ce n’est de mieux cacher celle qui s'exerce dans la rue, préviennent les associations. Et le modèle suédois tant loué serait un leurre. « On dit que la prostitution a drastiquement diminué dans le pays depuis la pénalisation des clients ; c’est faux. Seulement, elle est moins visible, elle s’est déplacée sur Internet et dans des appartements », prévient Irène Abudaram, coordinatrice à Médecins du Monde.

Les proxénètes l’ont d’ailleurs bien compris. « Lorsqu’ils envoient une fille à Stockholm, ils lui louent un appartement, c’est aussi simple que ça. Du coup, elles sont beaucoup plus vulnérables aux violences des clients. Au contraire, lorsqu’elles sont ensemble, en groupe, les unes peuvent venir en aide aux autres en cas d’agression… »

Ecoutez Irène Abudaram, coordinatrice à Médecins du Monde : « La loi ne correspond pas la réalité de la prostitution. Pourquoi prendre le risque de rendre moins accessibles les personnes qu'on cherche à protéger ?  »


L’argument est effectivement repris par plusieurs institutions internationales – ONUSIDA, OMS… En juillet, une série d'études publiées dans la revue The Lancet concluait à l’inefficacité de la répression en matière de sécurité sanitaire et de droits de l’homme. Ses auteurs appelaient à dépénaliser la prostitution pour mieux la combattre, si telle est la volonté des gouvernements.

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