La communauté scientifique est en émoi. Dans leur dernier numéro, les prestigieuses revues scientifiques Nature et Science ont publié deux tribunes distinctes sur le même sujet : l’inquiétude des scientifiques face aux recherches en génétique qui seraient en train de se dérouler dans le laboratoire d’un confrère… lui-même signataire d’un des articles, dans Science !
A l’origine de cette agitation, des informations rapportées par des journalistes de la revue du Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Boston et du quotidien The Independent en Grande-Bretagne. « Les recherches du laboratoire dirigé par l’éminent généticien George Church, de l’université de Harvard, porteraient sur la modification de l’ADN d’ovules humains en culture », peut-on lire dans le quotidien suisse Le Temps.
Dans le supplément Sciences & Médecine du Monde daté de ce mercredi, Florence Rosier apporte quelques précisions. Une jeune postdoctorante travaillant dans l’équipe de George Church aurait détaillé dans le journal du MIT un projet de recherche visant à utiliser les ovaires d’une femme porteuse du gène BRCA1 et ayant fait le choix d’une ablation – comme vient de le faire Angelina Jolie- pour prélever des ovules, les mettre en culture, et tenter de « corriger » la mutation génétique, grâce à la technique CRISPR-Cas9.
Cette méthode, parfois surnommée « chirurgie de l’ADN », a été mise au point dans les années 1980, rappelle Aurélie Coulon dans les colonnes du Temps, mais elle connaît un essor fulgurant depuis 2012. Elle permet de modifier l’ADN avec une précision chirurgicale, de modifier un gène, de l’enlever ou d’en introduire un nouveau. De quoi nourrir de sérieux espoirs pour venir à bout de certaines maladies génétiques. Mais une thérapie génique vise à traiter des cellules somatiques, chez un individu déjà né, et non des cellules sexuelles pouvant conduire à un embryon « génétiquement modifié ».
Si la communauté scientifique monte au créneau, c’est que ce type de recherche vise directement à modifier l’ADN des cellules dites germinales (ovules et spermatozoïdes), porteuses du patrimoine génétique transmis aux générations ultérieures. « Il faut suivre une voie prudente avant de manipuler le génome des cellules germinales », ont souligné les 18 auteurs de la tribune dans Science. Quant aux scientifiques qui se sont exprimés dans Nature, ils ont, eux, demandé un « moratoire volontaire » de la part des chercheurs travaillant dans ce domaine.
Pour l’instant, la France, comme les 28 autres pays d’Europe ayant ratifié la convention d’Oviedo, ne devrait pas être concernée par ce genre de recherches. Le texte prévoit en effet qu’ « une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise (…) seulement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance. »
Le Monde rappelle qu'Emmanuelle Charpentier, scientifique française co-inventrice de la méthode CRISPR-Cas9, estimait en 2014 : « Cette technique fonctionne si bien et rencontre un tel succès qu'il serait important d'évaluer les aspects éthiques de son utilisation ». Alexandre Mauron, éthicien à l’université de Genève, souligne dans Le Temps que modifier des gènes de cellules sexuelles, ou d’un embryon, n’est éthiquement « pour l’instant, pas défendable ». « Pour éviter une mutation d’une maladie grave dans l’embryon, le diagnostic préimplantatoire (DPI) est préférable », conclut l’expert.