Une étape cruciale vient d’être franchie dans l’épineux dossier de l’Avastin. L'utilisation de ce médicament dans le traitement de la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge) a été approuvée par l’agence française du médicament. La mise en œuvre de cette mesure devrait être effective « avant l'été », indique l’ANSM dans un communiqué.
Grâce à cette décision, les médecins pourront donc prescrire de l’Avastin aux patients atteints de la pathologie, et ce, alors même que le médicament ne dispose pas d’AMM (autorisation de mise sur le marché) pour cette application. A terme, il pourrait bien remplacer l’autre médicament utilisé pour le traitement de la DMLA, le Lucentis. Pour comprendre la portée d’une telle annonce, il convient de revenir sur l’histoire tentaculaire de ces deux médicaments, et sur les arrangements un peu douteux des laboratoires qui les commercialisent.
L’Avastin, 30 fois moins cher et aussi efficace que le Lucentis
Le Lucentis est le premier poste de dépense de la Sécurité sociale : 428 millions d’euros par an (en progression de 40 % en deux ans), pour 300 000 personnes affectées. Pendant longtemps, ce médicament très efficace, fabriqué par le laboratoire suisse Novartis, a été le seul autorisé dans le traitement de la DMLA. D’où son prix élevé : 800 euros par injection, à renouveler au moins trois fois. Un gouffre pour les hôpitaux, qui ont depuis plusieurs années trouvé une alternative.
En effet, il existe une molécule nettement moins coûteuse : l’Avastin, du laboratoire Roche, suisse également. A l’origine, il s’agit d’un médicament anticancéreux, mais de nombreuses études ont montré une efficacité égale dans le traitement de la DMLA. Il coûte 30 euros l’injection – soit presque 30 fois moins que le Lucentis ! Une aubaine pour l'Assurance maladie, qui, en 2013, a suggéré au laboratoire Roche de demander une extension d’AMM pour le traitement de la DMLA. Mais, surprise : Roche a refusé. Une enquête menée par les autorités italiennes a permis de comprendre pourquoi.
Un accord secret entre laboratoires
Novartis et Roche se sont en effet rendus coupables d’ « association à visée criminelle, corruption, escroquerie, dommages à l'État, agiotage ». Les deux laboratoires ont passé un accord secret pour empêcher l’utilisation de l’Avastin dans le traitement de la DMLA. Roche a même été jusqu'à demander à l'Agence européenne du médicament de modifier la notice de l'Avastin pour y ajouter des effets secondaires dans le cas d'une utilisation hors cadre, dénigrant ainsi son propre médicament pour un traitement hors cancer !
Il se trouve que les deux laboratoires ont des liens capitalistiques directs. Novartis détient 33 % du capital de Roche. De plus, Roche perçoit des royalties sur la vente du Lucentis par Novartis. Le laboratoire n’a donc aucun intérêt à promouvoir son Avastin. Les deux laboratoires ont été condamnés à une amende d’1,2 milliard de d’euros par la justice italienne, pays où l'Avastin est très largement prescrit dans le cadre d'une DMLA.
L’Etat s’en mêle…
Pour forcer la main du laboratoire Roche, le gouvernement français a fait voter l’été dernier un amendement afin d'autoriser la prescription de l’Avastin dans le traitement de la DMLA. L’économie réalisée pour la Sécurité sociale devrait s’élever à 200 millions d’euros par an.
Mais ce contournement par la loi n’est pas sans poser problème. Dans une économie libérale, un Etat peut difficilement forcer un laboratoire à mettre une molécule sur le marché… au risque de se faire épingler par Bruxelles ! D’ailleurs, toujours en 2014, le Conseil d’Etat avait annulé un décret rédigé par le gouvernement pour autoriser l’Avastin en traitement de la DMLA, en rappelant qu’imposer un médicament pour raison économique n'est pas autorisé en Europe.
… l’ANSM a le dernier mot
En octobre, c’est donc l’agence française du médicament qui s’en est mêlée. « L’ANSM a demandé au laboratoire concerné de lui fournir toutes les données scientifiques relatives à l’utilisation de ce produit en particulier sur le plan de la sécurité, de l’efficacité et des recherches en cours, afin d’évaluer l’utilisation de ce produit dans le cadre d’une éventuelle RTU (recommandation temporaire d'utilisation)», fait savoir un communiqué de l’agence.
Après examen des éléments, l’ANSM a donc donné son feu vert. « Les différents essais et méta-analyses comparant Avastin et Lucentis (…) ont montré l’efficacité d’Avastin dans le traitement de la DMLA néovasculaire et une non infériorité par rapport à Lucentis en termes d’efficacité fonctionnelle ». Coup dur pour Roche et Novartis ; jour de gloire pour la Sécurité sociale et les patients atteints de DMLA. Le malheur des uns fait le bonheur des autres…