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Entretien avec André Cicolella

Bisphénol A : « L'enjeu est d'éviter toute contamination »

Par Afsané Sabouhi

Agir au plus vite contre les perturbateurs endocriniens, en commençant par rendre effective l'interdiction du bisphénol A. C'est ce que réclame le toxicologue André Cicolella. 

\"96% des femmes enceintes en France sont imprégnées\", indique André Cicolella, toxicologue (CLOSON/ISOPIX/SIPA)

27 septembre 2011. Les mots sont choisis et feutrés mais le rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) sur les effets sanitaires du bisphénol A jette un véritable pavé dans la mare. Pour la première fois, une agence sanitaire incrimine le bisphénol A pour des effets avérés chez l’animal et suspectés chez l’homme et ce même à de faibles niveaux d’exposition. Il perturberait la maturation des ovocytes féminins et faciliterait la survenue de maladies cardiovasculaires et de diabète.
Quelques semaines plus tard, l’Assemblée nationale adopte une proposition de loi visant l’interdiction du bisphénol A dans tous les conditionnements alimentaires à compter de 2014, mais dès 2013 pour les contenants d’aliments destinés aux enfants de moins de 3 ans. « Une position pionnière que la France tarde à concrétiser dans les faits », dénonce André Cicolella. Ce chimiste toxicologue fut dans les anées 90 lanceur d'alerte concernant les effets sur la santé des solvants aux éthers de glycol. Il préside, depuis sa création en 2009, le Réseau environnement santé, rassemblant ONG de défense de l'environnement, scientifiques, associations de malades et professionnels de santé. Son objectif : placer la question environnementale au coeur des politiques de santé publique.


Entretien avec André Cicolella, toxicologue et porte-parole du Réseau environnement santé.

 

Pourquoi Docteur : Les effets sanitaires des perturbateurs endocriniens  sont-ils maintenant avérés ?

André Cicolella : A partir des données observées chez l’animal, on peut parler d’effets avérés jusqu’à 4 générations après la génération exposée aux perturbateurs endocriniens. Il y a maintenant un large consensus dans la communauté scientifique. C’est l’industrie chimique qui tente de faire croire qu’il y a un débat ou un doute. Mais les données scientifiques sont écrasantes. Pour le bisphénol A, on a plus de 600 études qui vont dans le même sens. Nous sommes encore loin d’avoir compris l’ensemble des effets des perturbateurs endocriniens mais ils sont aujourd’hui indiscutables et indiscutés !


« On peut parler d'effets avérés jusqu'à 4 générations ».

 

La France a pris des positions remarquées contre le bisphénol A avec le rapport de l’Anses et la proposition de loi adoptée en octobre dernier …

A.C. : Certes l’Anses a été la première agence sanitaire au monde à reconnaître les effets des faibles doses mais elle n’en a pas tiré toutes les conséquences. Elle devrait aujourd’hui nous dire, au terme de son évaluation des risques, quelle est la dose journalière admissible de bisphénol A. Selon les méthodes classiques de calcul, cette dose serait 2 millions de fois plus faible que la dose actuellement autorisée. Donner cette information reviendrait à interdire de fait le bisphénol A. L’Anses ne va pas jusqu’au bout de la démarche, comme si elle n’assumait pas ce leadership au niveau mondial.

N’est-ce pas parce qu’elle attend les résultats de la réflexion menée avec les industriels sur les matériaux envisageables pour remplacer le bisphénol A ?

A.C. : Elle est en cours, un premier rapport est sorti. Il ne fait que confirmer que l’on a déjà des solutions de remplacement du bisphénol A. La source principale de contamination humaine qui est le revêtement intérieur des boîtes de conserves a été substituée aux Etats-Unis depuis 1999. Et pas par un autre bisphénol ou un autre perturbateur endocrinien !

Le bisphénol A a été très médiatisé mais y a-t-il d’autres perturbateurs endocriniens tout aussi dangereux pour notre santé ?

A.C. : L’impact médiatique du bisphénol est justifié. C’est une substance qui imprègne toute la population même les nourrissons avec des conséquences sur l’enfant, le futur adulte et sur plusieurs générations. Mais il y a en effet d’autres grandes familles chimiques qui imprègnent tout autant la population comme les phtalates, les polybromés ou les perfluorés. Il faut changer la façon de gérer ce problème. Aux Etats-Unis, un projet de loi de John Kerry fixe comme objectif qu’aucun futur parent ne doit être contaminé par un perturbateur endocrinien. Cela situe bien l’enjeu : éviter toute contamination.

 

« C'est une clef de compréhension des maladies chroniques d'aujourd'hui ».


N’est-ce pas utopique quand on sait que ces perturbateurs endocriniens sont partout autour de nous ?

A.C. : Ce n’est pas utopique, c’est ambitieux. Mais c’est à la hauteur de l’enjeu. Avec les perturbateurs endocriniens, on a une clef de compréhension pour une grande partie des maladies chroniques d’aujourd’hui : diabète, obésité, cancer du sein, de la prostate, troubles du comportement et de la reproduction. A partir du moment où on supprime ces substances, on aura des gains de santé.

Si vous étiez au gouvernement, quelle est la décision que vous prendriez de manière urgente ?

A.C. : Nous attendons beaucoup de la conférence environnementale programmée pour septembre. C’est tout un plan Perturbateurs endocriniens qu’il faut construire. Le problème, ce sont les sources de contamination humaine, en priorité, l’intérieur des boîtes de conserve, pas le bisphénol A présent dans les portes de frigo ou les raquettes de tennis. 96% des femmes enceintes en France sont imprégnées, ce n’est pas rien quand même ! L’Anses a mis les pieds dans le plat avec son rapport et depuis elle reste paralysée par ce qu’elle a osé faire. Le bisphénol A servira de référence pour gérer les risques liés aux autres perturbateurs. Nous n’attendons plus que l’impulsion politique.

Entretien réalisé par Afsané Sabouhi.