- Airparif prévoit ce jeudi un nouvel épisode de pollution atmosphérique aux particules fines (PM10)
- Avec des mesures fortes sur cinq ans, Paris pourrait diviser par deux sa pollution de fond, d'après les élus
- Les solutions les plus efficaces seraient la fin des moteurs diesel, avec un remplacement par des voitures hybrides ou électriques
- En France, 3000 décès pourraient être évités si l'on respectait les normes de l'OMS sur les particules fines
Les jours passent et l’air de Paris reste irrespirable. Le Réseau de surveillance de la qualité de l'air en région, Airparif, annonce pour ce jeudi 9 avril une deuxième journée de pic de pollution aux particules fines pour la région parisienne. La concentration de PM10 devrait donc atteindre 78 µg/m³ dans la capitale. Un niveau à la limite du seuil d’alerte (80 µg/m³) qui implique néanmoins des actions d'information de la population, et des recommandations sanitaires aux personnes particulièrement sensibles à la pollution (enfants, personnes âgées...).
Mais face à ces épisodes de pollution à répétition, une question agite les esprits. Est-il possible d’anticiper ces évènements en agissant en amont. « Oui ! », ont répondu avec conviction les experts interrogés par Pourquoidocteur.
"Bouger sans polluer"
Pour le Dr Bernard Jomier, généraliste et élu écologiste à Paris (19e), lutter contre les pics de pollution passe avant tout par une lutte sans relâche contre « la pollution de fond. » Avec cette expression, ce médecin parle en fait de la pollution quotidienne qui se transforme en « pic de pollution » aux particules fines lors de conditions anticycloniques.
Alors, pour éviter d’en arriver là, ce praticien pense qu’il faut un changement radical des comportements. « Pour cela, des mesures de fond au niveau politique doivent voir le jour. Elle doivent arriver vite car elles prendront du temps pour faire effet », avertit-il.
Ce médecin propose notamment de mettre fin aux moteurs diesels que le Centre international de Recherche sur le Cancer (CIRC) a classés comme cancérogènes pour l’homme en juin 2012.
Pire encore, en octobre 2012, une étude publiée ans le Journal of the National Cancer Institute a mis en évidence pour la première fois une relation dose-effet entre le risque de cancer bronchique et l’exposition à ces gaz d’échappement. Concrètement, pour les personnes les plus exposées, le risque de cancer broncho-pulmonaire est multiplié entre 2,4 et 5.
Bernard Jomier suggère donc des aides financières pour inciter les gens à se doter de véhicules individuels moins polluants : « hybrides ou électriques. »
Jennifer Maherou, en charge de la documentation scientifique à l’Association Santé Environnement France (ASEF) penche plus de son côté pour des véhicules hybrides, plutôt que pour le tout-essence. D'après elle, ils sont « moins dangereux pour l’environnement » que ces derniers, et « plus facile à utiliser que les véhicules électriques », avance-t-elle.
A ce sujet, Rémy Slama, épidémiologiste et directeur de recherche à l'Inserm indique qu'à Tokyo, en une dizaine d'années, les Japonais ont réussi à faire chuter de l'ordre de 50 % la concentration de particules fines. « Pour arriver à ce résultat, ils ont interdit le diesel. Là-bas, quand les gens vont faire un contrôle technique le garagiste vérifie aussi que le véhicule roule sans mettre en danger la santé d'autrui par son niveau de pollution. C'est par des mesures comme celle-là qu'on décontamine l'air. Les pics de pollution ne sont que la partie émergée de l'iceberg », soutient-il.
5 ans pour faire de Paris une ville respirable
Mais pour le Dr Bernard Jomier mettre fin au diesel ne suffit pas. C’est un ensemble de mesures préventives, « un pack », qui doit être décidé pour réussir à bouger sans polluer. « Il faut plus de transports en commun, plus de mobilité non polluante avec les vélos. La circulation alternée est aussi une bonne mesure, même si elle reste difficile à appliquer en dehors des pics de pollution. »
Il rajoute, « le but c’est de vider ce vase de la pollution de fond. J’ai rédigé un article il y a trois dans lequel j’écrivais : « en 2020, un air de qualité à Paris c’est possible." On peut la diviser de moitié d’ici 5-6 ans et mettre fin aux pics de pollution s’il y a une réelle volonté politique. »
Comme exemple de villes qui ont retrouvé un air de qualité, le Dr Bernard Jomier cite Berlin, mais surtout Stockholm, en Suède. « Ils en ont fini avec les pics de pollution, il n’y en a quasiment plus. Et la pollution de fond a également baissé de façon importante. C'est la preuve que les mesures préventives payent. Au final, la question n’est pas : "est-ce que c’est utile, mais plutôt, a-t-on le courage de changer de comportements ?" »
Plus proche de nous, il vante les tramways des centres-villes bordelais ou strasbourgeois qui ont amené de nombreuses personnes a abandonné la voiture. Dans l'agglomération alsacienne, la fréquentation des transports en commun a ainsi triplé entre 1997 et 2012. Conséquence, entre 2008 et 2012, le nombre d’habitants concernés par les émanations de particules fines est passé de 60 000 à 15 000. Quant au dioxyde d’azote (NO2), 60 000 personnes y sont exposées, contre 100 000 il y a six ans, écrivait récemment Le courrier des maires et des élus locaux.
Pour une interdiction des cheminées à foyer ouvert
A ce sujet, l’ASEF, qui rassemble aujourd'hui près de 2 500 médecins, veut continuer à convaincre les gens pour qu’ils participent davantage « individuellement » à la lutte contre cette pollution de fond. Jennifer Maherou précise ainsi que « même si c’est difficile d’agir seul sur la qualité de l’air, il est toujours mieux pour l'atmosphère de prendre les transports en commun, ou de se déplacer à pied pour les petites distances. Pour cela, au niveau collectif donc politique, il faut que les pouvoirs publics mettent rapidement en place des transports en commun efficaces. C'est-à-dire rapides, non surchargés et à l'heure. »
De plus, elle espère que l’interdiction des cheminées à foyer ouvert en Ile-de-France verra enfin le jour. « Cette mesure devrait d’ailleurs être généralisée à toute la France », pense-t-elle. Côté positif, elle souligne les efforts de l’industrie concernant les émissions de souffre : « Elles ont beaucoup diminué et cela doit encore continuer. »
Tous s'accordent aussi pour dire, qu'il y a encore du travail à faire s'agissant des épandages agricoles qui pulvérisent de l’ammoniaque et contribuent ainsi à la pollution atmosphérique.
L’importance d’une collaboration plus étroite entre pays
Enfin, tous ces acteurs appellent à une meilleure collaboration entre les pays européens, car l’air tout comme les nuages de poussières radioactives ne s’arrête pas aux frontières. « Rappelez-vous du nuage de Tchernobyl, la frontière française ne l’a pas beaucoup impressionné », rappelle Bernard Jomier.
Sur le banc des accusés cette fois-ci, on trouve l'Allemagne, à qui beaucoup reprochent de polluer la France à cause de ses centrales à charbon.
Mais pour le Dr Bernard Jomier, « la France n’a pas à donner de leçons à quiconque. Les Allemands ont fait certains choix mauvais pour la qualité de l’air, et d’autres très bons pour l’environnement. On doit continuer à discuter avec eux, comme l’Ile-de-France doit continuer à discuter avec les autres régions. ». Il conclut que c'est cette collaboration qui va améliorer la santé de tout le monde.
Pour le moment, la Préfecture de police de Paris a décidé pour la journée de jeudi d'abaisser de 20 km/h la vitesse maximale autorisée sur les routes d'Ile-de-France (dont la vitesse est supérieure ou égale à 90km/h), et de poursuivre pour 24 heures le stationnement résidentiel gratuit.