Dans certains pays, une piqûre de moustique peut entraîner plus que de simples démangeaisons. Le paludisme fait partie des maladies transmises par cet insecte omniprésent. Il menace 40 % de la population. Et le parasite qui en est responsable développe des résistances aux traitements. A l’occasion de la Journée mondiale du paludisme, qui se tient ce 25 avril, Pourquoidocteur fait le point sur les moyens de lutter durablement contre le Plasmodium falciparum.
Une résistance cyclique
Le traitement de référence contre le paludisme, l’artémisinine, est de plus en plus utilisé. 382 millions de doses ont été vendues en 2013, contre 11 millions en 2005. Mais une résistance du Plasmodium à cette molécule commence à se développer, particulièrement en Asie du Sud-est (Cambodge, Laos, Myanmar, Thaïlande, Vietnam). Le phénomène est cyclique : dans les années 1970-80, le parasite est parvenu à résister à la chloroquine et à la sulfadoxine-pyriméthamine.
Le paludisme en chiffres
- Chaque année, 660 000 décès surviennent à cause du paludisme. Les ¾ touchent des enfants de moins de 5 ans.
- Malgré l’efficacité de certains médicaments, en 2013, seul 1 enfant africain sur 5 a bénéficié d’un traitement contre le paludisme.
- L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recommande un traitement préventif pour certaines populations à risque (femmes enceintes, jeunes enfants, nourrissons). Mais en 2013, 15 millions de femmes enceintes n’ont pas reçu une seule dose de ce traitement.
- En Afrique, 278 millions de personnes vivent dans un logement qui n’est pas équipé de moustiquaire imprégnée d’insecticide, moyen le plus efficace de prévenir le paludisme.
Si la résistance est un mécanisme d’adaptation du Plasmodium, certaines souches en sont plus capables que d’autres. D’ailleurs, une équipe de l’Institut Pasteur, à Paris et au Cambodge, a identifié des marqueurs qui permettent de détecter les parasites qui résistent à l’artémisinine et à ses dérivés. Mais cela reste un phénomène marginal. Les mauvaises utilisations des antipaludiques représentent le principal axe de lutte de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). L’agence sanitaire de l’ONU demande, dans ses dernières Directives pour le traitement du paludisme, qu’un test de diagnostic soit systématiquement utilisé avant toute prescription.
« Il faut imposer une bonne utilisation des médicaments, ne pas les utiliser quand le diagnostic n'est pas certain», confirme le Pr Camus. L'utilisation d'antipaludiques en prévention par les voyageurs, en revanche, n'a probablement aucune influence dans ce phénomène. « La résistance se produit lorsqu'il y a traitement curatif, et non traitement préventif », souligne Daniel Camus.
La prévention porte ses fruits
Prévenir la résistance aux antipaludiques est d’autant plus important que, selon l’OMS, aucun traitement de remplacement ne devrait être disponible avant au moins 5 ans et les vaccins sont encore peu efficaces. « La recherche est nécessaire pour passer à une autre génération de molécules auxquelles les parasites n’ont pas encore été confrontés, explique Daniel Camus. Mais il y a un phénomène relativement rassurant. Dans plusieurs zones du monde, on voit apparaître des résistances aux traitements, mais lorsqu'on arrête de les utiliser, on voit diminuer les résistances, comme si le parasite revenait à un état natif. » Résistance ou pas, l'artémisinine n’est pas la solution préventive à privilégier.
L’optimisme est permis car la prévention non médicamenteuse porte elle aussi ses fruits. « Il y a de très gros progrès, pas uniquement réalisés par le traitement curatif ou en prévention. Il est aussi important d’utiliser un insecticide qu’un médicament », rappelle le Pr Camus. Les progès sont si bons que le Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) ne recommandera plus que l'usage de répulsifs pour les voyageurs à destination de certaines zones d'Amérique centrale et d'Asie du Sud-est. Jusqu'ici, une bithérapie préventive, associant artémisinine et artésunate, était recommandée.
La résistance des moustiques : une menace de taille
« Les médicaments antipaludiques usuels restent efficaces au Sénégal et dans une grande partie des pays africains », constate le Dr Cheikh Sokhna, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) en poste à Dakar (Sénégal) contacté par Pourquoidocteur. Mais dans ces régions épargnées par la résistance du Plasmodium, ce sont les moustiques qui parviennent à survivre aux insecticides.
Une étude menée par l’IRD en 2011, dans le village de Dielmo (Sénégal) a mis en évidence l’émergence d’une résistance des anophèles à l’insecticide de référence, la deltaméthrine. La mutation qui confère cette résistance était présente chez la moitié des insectes, contre 8 % en 2007… après deux ans d’utilisation des moustiquaires imprégnées d’insecticides. Cette progression s’est traduite par une recrudescence du nombre de cas de paludisme. Un phénomène d’autant plus inquiétant que ces moustiquaires sont fortement recommandées.
Le succès de la lutte contre le paludisme entraîne aussi un effet plus inattendu : la population est moins prémunie contre le parasite. « Cette baisse peut-être expliquée par le fait que la transmission du paludisme a baissé (moins de contact des personnes avec les parasites pour stimuler l'immunité), explique le Dr Sohkna. C'est comme si une personne vivant en zone d'endémie palustre quittait cette zone et allait dans une zone où la transmission du paludisme est faible. »