C’est une sacrée avancée à laquelle nous assistons. Ce vendredi, la revue Science relaie une étude sur l’interface homme-machine qui laisse rêveur. En effet, un patient tétraplégique a réussi contrôler un bras artificiel par le biais de sa pensée, et ce, grâce à une intervention inédite.
La zone cérébrale des intentions
L’essai clinique s’est déroulé aux Etats-Unis. Erik Sorto, 34 ans, s’est fait opérer à l'Hôpital Keck de Los Angeles en avril 2013. Pendant cinq heures, les chirurgiens lui ont implanté une prothèse neuronale dans une zone spécifique du cerveau : le cortex pariétal postérieur (PPC), où se forment les intentions.
A son réveil, et après de longues séances d’entraînement avec les chercheurs de l'Institut de technologie de Californie (Caltech), le patient a pu réaliser avec précision des gestes plus ou moins complexes, tels que serrer une main, déclencher un mixeur, prendre et boire un verre ou encore jouer au « Shifumi ». Les signaux de sa pensée sont en effet traduits par un algorithme interprété par un ordinateur, qui lui-même contrôle un bras télémanipulateur.
Des gestes fluides
Ce n’est pas la première fois qu’une personne paralysée parvient à commander une prothèse par sa pensée encodée. Toutefois, une telle précision du mouvement n’avait jamais été atteinte. Et pour cause : le caractère révolutionnaire de cette intervention réside dans l’identification d’un réseau spécifique de neurones, impliqué dans l’intention qui guide nos actes.
Ainsi, jusqu’à présent, les chercheurs implantaient les prothèses neuronales dans la partie du cerveau qui contrôle les mouvements, avec des résultats moins satisfaisants, puisqu’avec cette technique, les gestes ont tendance à être saccadés. En revanche, en implantant dans le cortex pariétal postérieur, les mouvements retrouvent une fluidité, comme le démontre la vidéo.
« Mettre au point des systèmes plus fiables »
Ceci s’explique par le processus chronologique qui s’opère dans le cerveau lors d’un mouvement. « Le cortex pariétal postérieur se situe en amont dans le processus aboutissant à un mouvement, ce qui fait que les signaux sont plus en rapport avec l'intention d'agir qu'à l'exécution même du mouvement », écrit le Richard Andersen, professeur de neurologie à Caltech qui a dirigé cette recherche.
« Cette zone du cortex n’exécute pas, elle a un rôle de planification, précise à Pourquoidocteur Marco Congedo, chargé de recherche CNRS dans l'équipe VIBS (Vision and Brain Signal Processing). C’est donc l’intention qui est encodée et non le mouvement lui-même. La grande nouveauté de cette étude est de montrer que dans cette zone, il existe de l’information à la fois sur le but et la trajectoire du mouvement souhaité. »
Une technique invasive
Pour autant, ce dispositif ne sera pas implanté chez tous les tétraplégiques dès demain. De fait, cet essai devra d’abord être confirmé au sein d’autres études afin de répliquer ces résultats. Toutefois, « il y a peu de doute sur le caractère reproductible de ces résultats », souligne Marco Congedo.
Mais surtout, le caractère invasif de ce genre d’interface homme-machine pose des problèmes en termes d’éthique et de praticité. « Ce procédé n’a lieu que sur des sujets atteints d'une maladie grave, qui acceptent d’avoir des électrodes implantées dans le cerveau en permanence, explique Marco Congedo. Du moins jusqu’à un certain temps, puisque la plupart des matériaux ne sont pas biocompatibles. Le cerveau les rejette au bout de quelques mois, et en général, il faut remplacer l’implant, ce qui n’est pas du tout pratique ».
Le défi : créer des algorithmes adaptables
Enfin, un autre frein pourrait limiter la portée immédiate de ces résultats, que les auteurs ne manquent de souligner. En effet, ce dispositif de codage de la pensée (en l’occurrence, l’intention) doit pouvoir évoluer en fonction de la plasticité du cerveau, ce qui est loin d’être évident. « Les patterns (modèles) changent au fur et à mesure du temps. Pendant que vous parlez, vous êtes en train de créer des synapses et d’en détruire d’autres ! Le cerveau n’est jamais égal à lui-même. Il ne suffit pas de mettre en place un algorithme d’apprentissage une fois ; il faut que cet algorithme soit capable de s’adapter tout le temps pour comprendre ces changements ».