- Les tumeurs cancéreuses sont capables de provoquer l'arrêt de la réponse immunitaire
- Les "inhibiteurs de check-point" sont des anti-corps qui permettent de rrétablir l'activation des cellules immunitaires
- Les "anti-PD1/PD-L1" sont les anti-corps les plus prometteurs
- Mieux identifier les patients "répondeurs" reste un enjeu majeur pour rationnaliser l'utilisation de ces thérapies, souvent coûteuses
Les cellules du système immunitaire sont là pour nous protéger contre les bactéries, les virus, et les autres « intrus » qui peuvent mettre en péril la sécurité de notre organisme et pour détruire les cellules anormales.
Et pourtant, face au cancer, le système immunitaire semble bien démuni. L’immunothérapie, qui connaît un essor sans précédent, soulève un réel enthousiasme parmi les experts, en particulier les thérapies « anti-PD1 », à l’honneur cette année au congrès annuel de la Société américaine d’oncologie clinique (ASCO) qui se tient à Chicago.
Un « Graal » depuis presque 50 ans
Agir sur le système immunitaire pour combattre les tumeurs est le but des oncologues depuis des décennies. Pourtant, jusqu’à il y a peu, les diverses stratégies mises au point s’étaient soldées par des échecs. « Au début, on s'intéressait à l'immunothérapie dirigée contre la tumeur, on vaccinait par exemple avec des antigènes contre les cellules tumorales, mais cela ne marchait pas », se souvient Frédérique Penault-Llorca, directrice du centre anti-cancer Jean Perrin de Clermont-Ferrand.
En focalisant leurs recherches non plus sur les cellules tumorales elles-mêmes, mais sur leurs interactions – nombreuses – avec leur environnement, et notamment les cellules du système immunitaire, les scientifiques sont parvenus à développer des molécules capables de déjouer les mécanismes de défense mis en place par les tumeurs.
Déjouer l'immunité pro-tumorale
« On s'est rendu compte que des lymphocytes sont recrutés par les tumeurs, mais pour les protéger, il existe donc une immunité pro-tumorale », explique Frédérique Penault-Llorca. L'enjeu de l'immunothérapie est donc de redonner aux lymphocytes leur capacité initiale à combattre la tumeur au lieu de la protéger.
La réponse immunitaire est essentielle pour protéger l’organisme, mais elle ne doit pas durer trop longtemps ou être trop intense pour ne pas « déborder » et s’attaquer à des cellules saines. Il existe donc un système de contrôle, « check-point », qui permet de stopper l’activation des lymphocytes quand cela est nécessaire. Mais les tumeurs se protègent en activant ce système. Elles « leurrent » ainsi les cellules immunitaires, qui stoppent leur action de défense.
La recherche contre le cancer a fait un grand pas en développant des molécules capables de lever ce frein. Les « inhibiteurs de check-point » sont des anti-corps spécifiques de certaines voies de signalisation cellulaire. Les anti-CTLA-4 ont été les premiers à démontrer une efficacité clinique, parmi eux, l'ipilimumab, qui est aujourd'hui le traitement standard du mélanome.
PD1-PDL1 : la voie royale
Actuellement, parmi les immunothérapies, ce sont les anticorps qui ciblent la voie de signalisation PD1/PD-L1 qui semblent les plus prometteurs. Suzanne Topalian, oncologue à la Johns Hopkins University (Baltimore), a largement contribué aux recherches menées sur ces molécules.
Lors de la session d'ouverture du congrès de l'ASCO, consacrée aux anti-PD1, la scientifique a souligné à quel point ces molécules étaient au centre de la problématique tumorale : « Ces médicaments qui ciblent une seule voie de signalisation ont un spectre d'action sans précédent, et offrent un "dénominateur commun" aux thérapies anti-cancer ». Testés dans le traitement de certains cancers du poumon très réfractaires aux chimiothérapies dès 2007, ces anti-corps font aujourd'hui l’objet de nombreux essais cliniques, dans des types de tumeurs très divers du mélanome au lymphome.
Encore des limites
Si l'enthousiasme est de mise face aux résultats sans précédent obtenus grâce à ces molécules, des écueils restent encore à surmonter. Les essais ont ainsi montré que si ces anti-corps permettent d'augmenter significativement l'espérance de vie des patients, tous les cancers ne sont pas sensibles au traitement.
Certaines tumeurs réagissent mieux, en particulier celles qui présentent le plus de mutations génétiques. Ce qui explique les très bons résultats obtenus dans les cancers du poumon, et les mélanomes, connus pour être des cancers riches en mutations, dits « immunogéniques ». A contrario, les cancers de la prostate, ou les cancers colorectaux, très peu immunogéniques, répondent très mal à cette immunothérapie.
Comme tous les traitements, les immunothérapies sont à l’origine d’effets secondaires. « Les anti-PD1 ont un profil de tolérance plutôt favorable, relève Gérard Zalcman, pneumo-oncologue au CHU de Caen. En fait, ces immunothérapies ont des effets indésirables, mais différents de ceux des traitements habituels et auxquels les oncologues ne sont pas encore habitués. Nous allons devoir apprendre à les gérer ».
Le plus souvent, ces effets indésirables sont le fruit de réactions auto-immunes : en « levant le frein » de la réponse immunitaire, les anti-corps peuvent conduire à des pathologies (vitiligo, hypophysite…). Cette toxicité est d’autant plus importante que les médicaments sont combinés. Or les associations de plusieurs inhibiteurs de check-point sont en train de se développer, et produisent des effets prometteurs. C’est le cas dans le mélanome, où un essai de phase III vient de montrer qu’associer un anti-CTLA-4 avec un anti-PD1 améliorait significativement la réponse des patients, et leur survie sans progression.
« Mais la contrepartie est une toxicité élevée, souligne Céleste Lebbe, dermato-oncologue à l'hôpital Saint-Louis (Paris). Plus de la moitié des patients ont subi des effets secondaires importants, et 36 % ont choisi d’arrêter le traitement à cause de cela. »
Le coût de ces thérapies innovantes risque aussi de poser problème. Cette question de la valeur des traitements et de leur intégration dans un système de santé publique était d'ailleurs au cœur des présentations du congrès de l’ASCO. « Ces thérapies sont cependant supposées être administrées sur un temps court et produire des effets à long terme », souligne Frédérique Penault-Llorca.
Pour restreindre le coût de ces traitements, les autorisations de mise sur le marché (AMM) pourraient prévoir de restreindre les prescriptions aux patients susceptibles de répondre le mieux. En effet, le taux de « répondeurs » ne dépasse souvent pas les 30 %.
Problème : à l'heure actuelle, il n'existe pas de critère suffisamment fiable pour identifier ceux chez qui la thérapie sera réellement efficace. Même si les immunothérapies devraient être de plus en plus accessibles, de nombreux challenges restent encore à relever afin d'optimiser leur usage, tant d'un point de vue médical que financier.