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Entretien avec David Heard (Inpes)

Les campagnes de prévention racontent des histoires

Par Raphaëlle Maruchitch

Fini les slogans choc des années 80, les campagnes de santé publique privilégient le contenu, la proximité et le service. Elles sont narratives, résume le responsable de l'Inpes.  

Cet été, l’Inpes a lancé des actions de prévention sur les risques auditifs liés à l’écoute de musique amplifiée sur les festivals d’été et dans les discothèques.

Le sentiment de culpabilité ressenti à l’idée de manger un hamburger varie selon qu’il est accompagné ou pas d’un message sanitaire. C’est ce qu’a démontré récemment une étude menée sur 130 personnes par des spécialistes du marketing de l’école de management de Grenoble. Sans remettre en cause l’efficacité du message de santé publique qui invite à manger au moins 5 fruits et légumes par jour, cette enquête soulève la question du succès des campagnes de santé. Chaque année, l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) est en charge d’une quinzaine de campagnes. « Il n’y a ni campagne miracle, ni campagne ayant l’effet inverse », résume David Heard, chef du département campagne à l’Inpes. Le communicant est à la tête du pilotage des campagnes de publicité et d’information concernant la santé, suivant les repères de prévention et d’éducation élaborés par le ministère de la Santé. Il explique qu’il est pour autant possible de tirer des enseignements des campagnes de santé.

Entretien avec David Heard, chef du département campagne à l’Inpes.

pourquoidocteur : Quels sont les critères d’évaluation d’une campagne ?
David Heard : Ce que nous pouvons mesurer, c’est la qualité de la création et de la diffusion d’une campagne. Est-ce que les gens l’ont aimée ? Est-ce qu’ils l’ont comprise ? Est-ce qu’ils ont retenu le message ? Prenons l’exemple du tabac : l’image de la cigarette a beaucoup changé au cours du siècle. Mais on ne pourra jamais établir un rapport de cause à effet entre une campagne de santé et des changements de comportement. Il n’y a pas de recette.

« On ne pourra jamais établir un rapport de cause à effet ».

Est-il tout  possible de tirer des enseignements des campagnes de santé ?
David Heard : Déjà, nous avons tellement de garde-fous que nous ne « ratons » pas de campagne. Il n’y a pas de grosse surprise : nous n’avons jamais fait de campagne miracle où tout le monde a adopté un nouveau comportement, et on n’a jamais fait une campagne qui induise un contre-sens total sur la population. Après, oui, on peut en tirer des enseignements. Pour le tabac, nous avons réussi à considérablement faire baisser la consommation depuis les années 70 et dès que nous arrêtons la présence dans l’espace public, les chiffres remontent. En 1973, parmi les 18-75 ans, il y avait 42% de fumeurs. En 2010, on est passé à 34% de fumeurs. Toutefois, ce ne sont pas uniquement les campagnes qui font baisser la consommation. Il y a également la mise en application de lois comme la loi Evin de 1991.

Quelles sont les nouvelles "tendances" ?
Les dispositifs de terrain, de personne à personne comme distribuer des bouchons d’oreilles sur un festival, permettent de faire la différence. Ou encore, le jumelage entre une campagne média et un dispositif d’aide à distance. Par exemple, en 2009, la campagne « Drogues : ne fermons pas les yeux » a fait augmenter le nombre d'appels de 41% sur la ligne Drogues info service. Et la campagne "Compte à rebours" de 2011 a généré un taux d'évolution des appels entrants  et traité sur la ligne écoute Alcool de 400%.
Nous faisons du très moderne comme du traditionnel. On cherche, on améliore… En somme, nous essayons beaucoup, jusqu’au plus expérimental. Par exemple nous avons créé un manga interactif, avec un studio japonais, pour dénoncer la manipulation du marketing du tabac. Mais nous nous interdisons aussi des choses par principe.

« Le mot risque est un mot qu’on évite ». 

Quelles sont justement les spécificités directement liées au secteur de la santé ?
David Heard : La première chose, c’est que nous n’avons rien à vendre. Nous avons juste un message à faire passer. C’est assez abstrait. Ensuite, il ne faut pas trop inquiéter les gens sur leur santé. En France, on doit avoir une approche positive de la santé. On parle aux gens de leur rapport à leur propre corps, leur faire peur induit assez rapidement du rejet. Le mot risque est un mot qu’on évite. Il y a plein de barrières, il faut ruser. La dernière difficulté est que les messages sont extrêmement précis. C’est un travail difficile de vulgariser sans trahir le message scientifique. On a un devoir de précision ; à nous d’arriver à dire tout ça sans dénaturer le message.

Peut-on contrôler l’effet de saturation du public ?
David Heard : On l’entend tous mais concrètement, c’est quelque chose de très difficile à mesurer. Lorsque l’on questionne les personnes à ce propos, ils répondent être satisfaits qu’il y ait des campagnes de prévention pour la santé. C’est ambivalent. C’est le côté caractère français un peu râleur mais qui aime qu’on s’occupe de lui.
Il faut varier les messages, tout en étant vigilant par rapport à la démultiplication des sujets. 

Vers quelle tendance s’orientent les campagnes ?
David Heard : Il y a eu une grande époque où le slogan était très à la mode, à la fin des années 70. « Un verre ça va, trois verres bonjour les dégâts » a marqué les esprits en 1984. Aujourd’hui, le slogan ne fait plus tout. Il faut créer un territoire de marque, des affinités, être dans une communication de contenu. Le slogan a un côté percutant et simplificateur. Par exemple, le slogan sur le nombre de verres n’est pas vrai, nous ne pourrions plus l’utiliser aujourd’hui. C’est la communication de contenu qui émerge depuis dix ans plutôt que de trouver le slogan choc. Nous avons aujourd’hui des campagnes assez narratives.

 

Entretien réalisé par Raphaëlle Maruchitch