Nouvelle polémique en vue ? L’obésité est un « problème mental », selon le Dr Pierre Dukan. Dans une interview accordée au journal britannique "Mail On Sunday", le concepteur du régime ultra-protéiné explique que les obèses « ne sont pas vraiment malades, pas comme s’ils avaient un cancer, mais ils se sentent exclus de la société ». Et il poursuit : « C’est un problème mental. Je n’ai jamais vu une personne obèse dire « je me sens bien dans ma tête » ».
Ces propos pourraient raviver les critiques contre le célèbre nutritionniste qui proposait déjà en janvier dernier de faire gagner des points au bac aux lycéens qui ne grossissent pas lors de la première et de la terminale. Réduire l'obésité uniquement à un facteur psychologique fait bondir les spécialistes.
Comme le montrent les chercheurs, les origines de l’obésité et du surpoids sont multiples. Nombreux sont les scientifiques comme le Pr Arnaud Basdevant, chef du service de nutrition de La Pitié Salpétrière à Paris et président du plan national de lutte contre l’obésité, à rappeler que l'obésité est une maladie du développement économique liée à une sédentarisation massive et à de fortes pressions qui poussent à la consommation alimentaire. L’excès d’apport énergétique par l’alimentation et l’insuffisance des dépenses sous forme d’activité physique jouent un rôle central. On sait que l’augmentation de la taille des portions, la plus grande densité énergétique de l’alimentation, l’évolution des prix alimentaires favorisent l’excès de consommation calorique. La sédentarité comme le temps passé devant la télévision, est associée à l’excès de poids.
Une maladie sociale
Des facteurs socio-économiques interviennent dans le développement de l’obésité. L’obésité suit la courbes des disparités économiques. En France, la prévalence de l’obésité chez les ménages ayant un revenu mensuel net inférieur à 900 euros est 1,5 fois plus élevée que dans la population générale. La première étude publiée à partir de la cohorte RECORD a révélé que la pression artérielle augmenterait à mesure que diminuent à la fois le niveau d’instruction des individus et le niveau d’instruction moyen du quartier de résidence.
Ce travail, conduit par une équipe de l’unité Inserm 707 a ainsi montré que l’indice de masse corporelle et le tour de taille apportaient la contribution la plus forte aux associations entre niveau d’instruction et pression artérielle. En d’autres termes, selon Basile Chaix, "les disparités d’obésité observées entre quartiers favorisés et défavorisés sont suffisamment fortes pour donner lieu à des différences de pression artérielle mesurables entre quartiers".
Des facteurs génétiques et biologiques
Le développement de l’obésité obéit aussi à d’autres facteurs. C'est aussi en fonction de son terrain génétique, de ses capacités biologiques et ses dispositions psychologiques que le corps d'un individu réagit au mode de vie plus sédentaire. Si les parents et les grands-parents sont obèses, le risque pour l'enfant de le devenir varie de 40% à 65%.
Plusieurs équipes françaises de l’Inserm et du CNRS ont identifié des gènes impliqués dans la prise de poids, l’obésité sévère et les complications de l’obésité aussi bien dans des populations d’enfants que chez l’adulte. Les chercheurs ont mis en évidence plus de 400 gènes, marqueurs ou régions chromosomiques associés. D’autres facteurs biologiques, comme des anomalies du tissu adipeux ou des centres de contrôle de la prise alimentaire, peuvent rendre compte de ces différences de susceptibilité individuelle à l’obésité.
Plus récemment l’intérêt des chercheurs s’est porté sur les anomalies des cellules graisseuses, leur différenciation, leur multiplication, leur développement pathologique. L’obésité est en effet une pathologie du tissu adipeux, ce tissu formé d’adipocytes (cellules chargées de stocker l’énergie dans les territoires sous-cutanés et la région intra-abdominale) et d’une multitude d’autres cellules. Les chercheurs s’intéressent actuellement aux facteurs biologiques qui conduisent à l’inflation de ce tissu graisseux, aux modifications des cellules et de leur environnement. Il s’est avéré que ce tissu avait une étonnante capacité à sécréter des substances expliquant la résistance à la perte de poids et l’apparition de certaines complications telles que les anomalies hépatiques, cardiaques, respiratoires, articulaires.
Un autre champ considérable de la recherche sur l’obésité vise à identifier les mécanismes qui conduisent le système nerveux central, en particulier l’hypothalamus, à ne plus être en mesure de freiner la prise alimentaire et d’augmenter la dépense énergétique face à cet excès de masse grasse chez certaines personnes. Les neurosciences sont ici en première ligne. Par ailleurs, plusieurs équipes de recherche s’intéressent au rôle de l’intestin, en particulier des hormones sécrétées par le tube digestif, et à la flore intestinale qui pourraient avoir un rôle facilitateur dans la prise de poids.
Une maladie discriminante
Conclusion, l’obésité est une pathologie bien loin plus complexe qu'un simple problème mental. Ce qui explique la difficulté de trouver les bons traitements. Rappelons que cette maladie entraîne des troubles de la santé dont les principaux sont le diabète de type 2, l’hypertension artérielle, l’excès de lipides dans le sang, les atteintes cardiovasculaires, le syndrome d’apnée du sommeil, l’arthrose et un risque accru de certains cancers.
Il faut également souligner le retentissement psychologique et social de la maladie. « L'obésité est une maladie qui se voit. Elle entraîne des jugements moraux et primaires sur la corpulence, rappelle le Pr Basdevant Les obèses souffrent avant tout d'un manque de respect. »
Dans la première étude sur la stigmatisation des obèses qu'il a publié avec Jean-Pierre Poulain, il montrait que l'obésité est un facteur de discrimination sociale et professionnelle qui concerne 4,7 millions de personnes en France. Les lieux de stigmatisation sont d'abord l'école puis l'univers professionnel, avec comme situation particulièrement délicate le moment de l'embauche où l'apparence physique occulte les compétences professionnelles. L'étude montre également que les obèses ont un accès à l'enseignement supérieur plus difficile, un niveau de revenu plus faible et une promotion plus lente. Une situation encore plus marquée chez les femmes : seulement 3 % d'entre elles contre 16 % des hommes occupent une haute position sociale.