Repérer tôt les premières lésions cancéreuses, avant même qu’une tumeur ait pu apparaître, est un enjeu majeur de la lutte contre le cancer. L’intérêt du diagnostic précoce est avant tout de mieux soigner pour augmenter les chances de guérison des malades. Mais ce bénéfice pour les patients n’est possible que si des techniques de dépistage efficaces sont mises en place. En France, de nombreux programmes sont organisés (mammographie pour le cancer du sein, tests immunologiques pour le cancer colorectal…) afin de déceler la présence d’anomalies de petite taille avant l’apparition des symptômes. Mais malgré ces dépistages, toutes les tumeurs, en particulier les plus petites, ne sont pas décelées. C’est pourquoi des chercheurs du monde entier tentent de développer de nouveaux outils capables de déceler une nouvelle génération de marqueurs tumoraux retrouvés dans le sang, les cellules tumorales circulantes et les ADN tumoraux circulants.
Une idée qui ne date pas d’hier
Dépister le cancer grâce à une simple prise de sang semble au premier abord une méthode révolutionnaire. Pourtant, ces tests non-invasifs ne datent pas d’hier et ont une longue histoire. Celle-ci démarre dès les années 1950 avec le dosage de la phosphatase acide prostatique (PAP), une protéine présente en plus grande quantité chez les hommes atteints d’un cancer de la prostate que chez les sujets sains.
Au cours des années suivantes, et jusqu’à aujourd’hui, de nouveaux marqueurs tumoraux circulants dans le sang ont été découverts. Certains sont spécifiques d’un cancer, alors que d’autres signent la présence de différents types de cancers (cancer du sein, du testicule, de la vessie…). « Actuellement, une dizaine de tests de dosage protéique sont réalisés tous les jours, surtout dans le but de suivre l’évolution de la maladie », explique le Pr Dominique Bellet, responsable du laboratoire d’oncobiologie à l’hôpital René-Huguenin - Institut Curie (Saint-Cloud).
Seuls 4 tests sont utilisés en pratique pour le dépistage de certains cancers (foie, placenta, thyroïde et prostate). Parmi eux, cependant, seul le dosage sanguin de la calcitonine permet une détection précoce. Grâce à ce marqueur, il est possible de détecter un cancer médullaire de la thyroïde 20 ans avant son apparition chez des enfants ayant des antécédents familiaux. « On voit donc que les tests sanguins sont capables de détecter des tumeurs qui sont extrêmement petites », affirme Dominique Bellet, qui précise que ce test fait office d’exception.
Une nouvelle génération de marqueurs
D'autres molécules s’annoncent plus prometteuses que les marqueurs protéiques. « Il y a eu un grand espoir à un moment donné autour de la protéomique, raconte-t-il. On s’est dit qu’on allait pouvoir étudier toutes les protéines produites dans le corps humain. Mais cette piste s’est révélée très décevante. A contrario, les progrès réalisés en génomique sont stupéfiants. C’est donc là que les choses vont se passer dorénavant. »
De fait, guidées par les progrès techniques et les avancées en génétique, des recherches démarrées dans les années 1970-1980 ont pu reprendre et livrent des résultats très encourageants. C’est notamment le cas des ADN tumoraux circulants. Ces fragments d’ADN se retrouvent dans la circulation sanguine après la mort naturelle des cellules cancéreuses. Ils sont porteurs des mutations génétiques caractéristiques de la tumeur.
Ils apportent une nouvelle dimension à la prise en charge des malades du cancer. Par leur seule présence, il est possible de révéler l’existence d’une tumeur, de suivre l’évolution de la maladie, et même de repérer la récidive. Il est par exemple envisagé de les utiliser pour évaluer l’efficacité d’un traitement : si la quantité d’ADN tumoral dans le sang diminue, alors la thérapie fonctionne.
Personnaliser les traitements
Un médicament pour une mutation génétique. Un principe qui sous-entend que chaque patient est unique et doit recevoir un traitement qui lui est adapté. Une personnalisation qui nécessite des tests diagnostiques particuliers que l’on appelle les tests compagnons.
Ces derniers reposent sur la détection de biomarqueurs précis pour lesquels des traitements spécifiques sont développés. Mais actuellement, ces tests sont invasifs. Il faut réaliser une biopsie de la tumeur et l’analyser pour identifier les altérations génétiques. Les ADN tumoraux circulants semblent donc être une alternative pertinente.
Alain Thierry, directeur de recherche à l’Inserm à l’Institut de recherche de cancérologie à Montpellier, travaille sur les ADN circulants depuis plus de 10 ans. L’année dernière, il confirmait, dans une étude publiée dans la prestigieuse revue Nature Medicine, que leur analyse chez des patients atteints d’un cancer du côlon métastatique était aussi efficace que celle réalisée à partir d’une biopsie tissulaire. Une équipe de l’Institut Curie l’a également montré pour le mélanome de l’œil métastatique. Un vrai pied de nez à tous ceux qui doutaient. « Les biomarqueurs circulants comme l’ADN tumoral sont inévitables et indispensables, car, grâce à eux, on va mieux comprendre les traitements, mieux les gérer et faire une médecine personnalisée », affirme Alain Thierry avec enthousiasme.
Prédire la réponse à une thérapie ciblée
Un avis partagé par Dominique Bellet, qui espère que la biopsie liquide, soit une simple prise de sang, complétera, voire remplacera, d’ici une dizaine d’années, la biopsie tissulaire, l’examen de référence aujourd’hui. D’une part, parce que l’évolution technique le permettra et que les coûts diminueront. Et d’autre part, parce qu’elle deviendra indispensable pour contourner la résistance aux thérapies ciblées. En effet, leur analyse permet de faire un instantané de toutes les altérations génétiques de la tumeur, alors qu’une simple biopsie n’est représentative que d’une petite partie. « C’est comme si vous regardiez ce qui se passe dans un petit village du Vercors et qu’en fonction de ce que vous allez y observer, vous alliez décider des actions qu’il faut mener dans toute la France », compare-t-il.
La biopsie liquide présente également un avantage indéniable, et qui fait défaut à la biopsie tissulaire : elle peut être adaptée à tous les types de cancers et être renouvelée autant de fois que nécessaire. Un intérêt reconnu par l’Agence européenne du médicament, qui a autorisé en novembre 2014 l’utilisation des ADN tumoraux dans l’arsenal diagnostique pour le cancer du poumon. Alain Thierry espère à son tour pouvoir commercialiser son test nommé Intplex d’ici 6 mois à un an.
En parallèle des ADN tumoraux circulants, des équipes travaillent quant à elles sur les cellules à l’origine des métastases, les cellules tumorales circulantes (CTC). Ces dernières se retrouvent dans le sang après avoir quitté leur organe d’origine. Si ces cellules ne permettent pas de détecter précocement un cancer, elles s’avèrent toutefois pertinentes pour identifier les patients présentant un fort risque de rechute, même en très faible quantité. « Nous avons, en effet, montré chez des patientes atteintes d’un cancer du sein inflammatoire que la présence d’une seule cellule dans un prélèvement sanguin (environ 7 millilitres, ndlr) est associée à un risque élevé de récidive », explique le Pr Jean-Yves Pierga, chef du département d’oncologie médicale de l’Institut Curie. La détection des CTC semble ainsi se présenter comme un biomarqueur pronostique de qualité.
Les cellules tumorales circulantes
Dans le sang d’un malade du cancer, plusieurs éléments peuvent être identifiés. Il y a bien sûr les globules rouges et les globules blancs, mais également des cellules cancéreuses qui circulent librement dans le sang, les cellules tumorales circulantes (CTC). Grâce aux nouveaux outils technologiques, il est possible de les différencier et de les analyser.
La quantification de ces cellules apporte ainsi de nombreuses informations aux médecins. Tout d’abord, leur présence dans le sang est le signe que le cancer a commencé à se disséminer. Elles peuvent ainsi servir à prédire les risques de récidive et de métastases. Ces CTC peuvent aussi être un indicateur de réponse aux traitements (chimio-, radio-, immunothérapie).
Au-delà de leur valeur pronostique, elles pourraient également être utilisées pour identifier de nouveaux marqueurs tumoraux, et donc de nouveaux traitements. « Elles peuvent ainsi nous aider à prendre des décisions thérapeutiques, notamment concernant l’immunothérapie », avance le Pr Jean-Yves Pierga.
Encore des écueils à surmonter
« C'est un domaine de recherche qui est très passionnant et porteur d'espoir, et pour lequel nous avons un intérêt évident, mais il faut rester prudent, car ces tests doivent encore être validés sur le plan de leur validité et utilité cliniques », tempère Hermann Nabi, responsable de département au Pôle recherche et innovation à l’Institut national du cancer. En effet, à l’heure actuelle, les biomarqueurs circulants ne permettent de détecter que les cancers au stade métastatique.
Face à ces nouveaux biomarqueurs, il est tentant d'imaginer pouvoir se passer, un jour, de la biopsie tissulaire. Rêve ou réalité, les recherches en cours et futures nous le diront. Mais il semble sage de penser que toutes ces techniques ont leur place et peuvent se complèter. Chacun de ces outils permettra d'aborder la pathologie cancéreuse sous un angle spécifique et optimisera la prise en charge des malades.
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