Du pouvoir des médias… et de leur nuisance. En Australie, la diffusion d’une émission sur les dangers supposés des statines serait responsable de l’arrêt ou de la réduction du traitement de 60 000 personnes, selon une étude publiée dans le Medical Journal of Australia. Dans ces travaux, les auteurs s’alarment des risques encourus par ces personnes qui, effrayées par les révélations de l’émission The Catalyst, ont interrompu la prise des ces médicaments destinés à réduire le taux de cholestérol et à prévenir les troubles cardiovasculaires. Ils pointent la responsabilité des journalistes à l’origine de l’émission diffusée par la chaîne ABC TV.
17 000 arrêts par semaine
« Dans les huit mois qui ont suivi la diffusion de The Catalyst, on estime que le nombre de personnes qui auraient dû se voir prescrire des statines a été minoré de 60 897 personnes, écrivent les chercheurs. Si les patients continuent à renoncer à leur traitement dans les cinq prochaines années, cela pourrait se traduire par 1 522 à 2 900 crises cardiaques et AVC évitables et potentiellement mortels. »
Selon cette étude, menée par le « Pharmaceutical Benefits Scheme », l’Assurance-Médicament australienne chargée d’assurer l’accès de la population aux traitements, 14 000 personnes par semaine ont interrompu leur traitement, suite à la diffusion de l’enquête. Pour parvenir à ce chiffre, les chercheurs ont passé en revue les dossiers médicaux de 191 000 Australiens.
Une émission controversée
L’émission scientifique en question a été diffusée en juin 2013. Dans une série de deux épisodes, les journalistes décrivent les statines comme un produit « toxique » et remettent en cause leurs bénéfices dans la prévention de l'hypercholestérolémie et des maladies cardiaques.
Depuis, les médias anglo-saxons ont mis en avant les liens d’intérêt des « experts » interrogés dans le cadre de cette enquête. Des spécialistes australiens de la santé publique ont accusé les journalistes d’avoir détourné des preuves scientifiques pour effrayer les populations. La chaîne ABC a supprimé les épisodes de son site Internet après une enquête interne, qui a révélé que l’émission The Catalyst n’avait pas respecté ses standards d’impartialité.
En France, l’« effet Even »
En France, cette polémique a des airs de déjà-vu. En février 2013, la publication d’un livre sur les dangers supposés des statines a eu l’effet d’une bombe. Dans ses pages, l’auteur, le pneumologue Philippe Even, affirme que ces médicaments anti-cholestérol sont inefficaces et appelle les patients à cesser leur traitement.
Immédiatement, les réactions furieuses des cardiologues se sont faites entendre. Selon une étude publiée en octobre 2013 par cinq professionnels des maladies cardiaques, la polémique générée par ce livre pourrait causer 1 159 décès et 4 992 infarctus par an en France.
« Nous n’avons pas beaucoup de données sur ce qu’il s’est exactement passé, nuance toutefois Nicolas Danchin, cardiologue à l’hôpital européen Georges-Pompidou, qui a mené une évaluation sur l’« effet Even » avec Nicholas Moore, chef du département Pharmacologie au CHU de Bordeaux. Il semblerait que la publication du livre se soit traduite par une augmentation de 50 % des arrêts de statines. C’est beaucoup en termes de valeur relative, mais cela représente, en valeur absolue, un chiffre assez réduit. »
Les craintes liées aux informations contradictoires sur les statines n’ont donc pas donné lieu à des arrêts « dans des proportions colossales ». « Mais cela a été suffisant pour créer un certain nombre de problèmes ! », précise Nicolas Danchin. En Australie, les chercheurs du Pharmaceutical Benefits Scheme ne disent pas autre chose. « Ce qui est particulièrement inquiétant dans cette chute de la consommation de statines, c’est qu’elle concerne des sujets à risque élevé de maladies cardiovasculaires – notamment des personnes qui prennent des médicaments pour traiter le diabète ».