Le bisphénol A et certains phtalates n’ont plus droit de cité en France. Mais ces substances utilisées pour assouplir les plastiques peuvent être indispensables à certains produits. Elles sont donc remplacées par d’autres plastifiants, certifiés plus sûrs. Une étude, publiée dans la revue Environmental Research, vient cependant remettre en question ce consensus. Les recherches sur des tissus adipeux de rat ont montré une action métabolique du DINCH, qui remplace le phtalate DEHP.
L’équipe à l’origine de l’étude appartient à l’université McGill, à Montréal (Canada). Ses membres travaillent depuis plusieurs années sur les phtalates. Ils ont voulu comparer leurs effets au DINCH, qui devait servir de produit témoin. Mais en étudiant son action sur des cellules de tissu adipeux de rat, une action similaire au DEHP est apparue : l’un des métabolites du DINCH (MINCH) nuit au mode de fabrication des graisses. « Ces résultats démontrent que le DINCH n’est peut-être pas aussi sécuritaire qu’on le prétend et que des recherches supplémentaires sur la sécurité et l’utilisation de ce produit très répandu s’imposent », conclut le Dr Vassilios Papadopoulos, co-auteur de l’étude.
Un effet modéré
Les chercheurs soulignent que ce produit chimique est approuvé et certifié par de nombreuses autorités, mais qu’aucune publication revue par des pairs n’a évalué sa toxicité. Jean-Pierre Cravedi, directeur de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et spécialiste des perturbateurs endocriniens, se montre moins alarmiste. Cette étude « n’est pas de nature à remettre beaucoup de choses en question », estime-t-il. Il rappelle que les récepteurs sur lesquels agit le DINCH n’ont pas le même rôle chez le rat et l’être humain.
Quelle législation pour les perturbateurs endocriniens ?
Les perturbateurs endocriniens sont mentionnés dans plusieurs réglementations, dont Reach, qui oblige les industriels à mentionner les substances chimiques qu’ils utilisent. Mais le problème est double : la législation elle-même n’est pas très précise sur ce qu’est un perturbateur endocrinien, et c’est un mécanisme d’action et non un effet sur la santé. « On n’a toujours pas de définition au niveau de la communauté européenne. Tant qu’on n’établit pas un lien entre un mécanisme d’action et un risque, on est bloqué, déplore Jean-Pierre Cravedi. Il y a tout un flou sur ce qu’on considère comme une perturbation endocrinienne : est-ce qu’une modification génétique suffit ? Certains diront que ce qui compte, c’est le niveau de concentration d’hormones dans un tissu ou dans le sang. L’autre difficulté, c’est qu’il n’y a pas un seul mécanisme de perturbation endocrinienne, les interactions sont multiples. »
Des substituts moins toxiques
Le DINCH est largement utilisé sur les continents nord-américain et européen pour remplacer le DEHP, un phtalate dont la toxicité sur la reproduction est avérée. D’après les auteurs de l’étude, si sa concentration atteint des niveaux comparables à celle du DEHP, il pourrait y avoir un risque pour la santé des personnes dont l’exposition est professionnelle.
« Un certain nombre de substituts des phtalates ont été mis en place, avec sept ou huit familles. Ils s’y substituent parce qu’ils n’ont pas les propriétés reprotoxiques des phtalates, et n’agissent pas sur les récepteurs aux androgènes, objecte Jean-Pierre Cravedi. On n’a pas autant de données toxicologiques que pour le DEHP. Il n’empêche que sur la reprotoxicité, les différents substituts n’ont pas d’effet toxique – ou à des doses beaucoup plus élevées. Sur un spectre plus large, ce ne sont pas des molécules très toxiques. »
Convaincre l’industrie
Ces travaux doivent être pris en compte, mais il ne faut pas non plus verser dans l’alarmisme : plusieurs substituts aux phtalates n’ont aucun effet sur le système endocrinien. Mais alors, pourquoi ne pas les avoir utilisés plus tôt ? Tout simplement parce qu’à ses débuts, le DEHP et ses effets reprotoxiques n’étaient pas connus. « C’est au fur et à mesure que la science progresse que l’on peut établir ou orienter une réglementation, rappelle Jean-Pierre Cravedi. Il s’écoule toujours un laps de temps entre le moment où l’on met en évidence de manière certaine l’effet d’un plastifiant et celui où l’on prend des mesures pour que leur usage soit interdit. Quand on a utilisé le DEHP de manière abondante, ces effets n’étaient pas établis. » En l’état actuel des connaissances, les substituts sont donc plus sûrs. Mais une infime partie de la littérature sur le sujet est accessible.
Reste aussi à convaincre l’industrie de la nécessité d’adopter des plastifiants moins nocifs. Les méfaits du bisphénol A sont bien documentés. Malgré tout, l’association d’industriels PlasticsEurope est parvenue à déposer une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) auprès du Conseil constitutionnel. Les Sages devront trancher sur le caractère constitutionnel de l’interdiction du bisphénol A, en vigueur depuis le 1er janvier 2015. Aux Etats-Unis, la situation est aussi préoccupante : les phtalates interdits sont remplacés par d’autres.