C’est un véritable feuilleton à suspense qui se joue entre le laboratoire Roche et les autorités françaises. Le fabricant de l’Avastin s’est opposé ce lundi 22 juin à l'application de la Recommandation Temporaire d’Utilisation (RTU), émise par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Elle permet de prescrire le médicament dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA).
D’efficacité similaire au traitement de référence (Lucentis, de Novartis), l’Avastin est 30 fois moins cher que son concurrent. C’est cette différence de prix qui a motivé le gouvernement à autoriser sa prescription. Mais Roche refuse d’appliquer la RTU. Pourquoi docteur a interrogé Yannick Pletan, directeur médical de Roche France, sur les raisons de cette opposition catégorique.
« Roche n’a ni les compétences, ni les capacités, ni les autorisations pour reconditionner l’Avastin ».
Qu’est-ce qui vous fait penser que vous pouvez vous soustraire à la demande du gouvernement de mettre en œuvre la RTU ?
Dr Yannick Pletan : En fait, le problème se pose différemment : nous ne sommes tout simplement pas en mesure d’assumer cette obligation. Nous nous opposons depuis le début à la RTU, non pas par dogmatisme, mais parce que nous n’avons pas les moyens techniques de reconditionner l’Avastin pour un usage ophtalmologique. En effet, nous ne possédons pas les chaînes de fabrication nécessaires ni les centres de distribution qui ont la capacité légale de déconditionner le conditionnement primaire. Nos usines ne produisent pas de médicaments ophtalmologiques.
Roche n’a ni les compétences, ni les capacités, ni les autorisations pour reconditionner l’Avastin. Donc, il faudrait faire appel à un tiers, qui peut faire du bon travail comme du mauvais. Nous n’aurons pas de possibilité de contrôle sur lui, mais ce sera malgré tout au laboratoire d’endosser la responsabilité pharmaceutique, légale et pénale.
Quant au protocole de suivi, nous ne sommes pas sur le terrain de l’ophtalmologie, nous ne connaissons pas les praticiens, nous n’avons pas de force de vente ni de réseau au contact de ces professionnels. Sans aucune relation avec cette communauté, il est difficile de mettre en place un suivi de pharmacovigilance.
Avez-vous vraiment les moyens de refuser cette demande ?
Dr Yannick Pletan : A-t-on vraiment les moyens de nous contraindre ? En fait, nous nous trouvons dans une situation inédite. Preuve de notre ouverture d’esprit, nous sommes prêts à donner en licence le produit à un tiers, sans avantage financier de notre part, sous la responsabilité, par exemple, des Hospices civils de Lyon qui se sont portés promoteur de l’essai, ou encore à quelqu’un qui peut avoir un statut pharmaceutique.
Nous sommes ouverts à toutes les solutions qui peuvent débloquer la situation pour les autorités ; seulement, ça ne peut pas être nous. On a bien dit à l’ANSM : trouvez quelqu’un qui peut le faire, on lui donnera les droits et ils pourront mettre en place un vrai protocole de suivi.
« Nous avons attaqué ce décret devant le Conseil d’Etat et nous avons eu gain de cause ».
Pourquoi avez-vous attaqué le décret modifiant les conditions de la RTU devant le Conseil d’Etat ?
Dr Yannick Pletan : A l’origine, une RTU s’applique s’il n’existe pas d’alternative thérapeutique. Le nouveau texte propose de supprimer cette condition, mais aussi de permettre la mise en œuvre d’une RTU pour des motifs économiques. Or, nous considérons que l’intérêt du patient passe avant tout, avant même les considérations budgétaires des Etats. Donc, nous avons attaqué ce décret devant le Conseil d’Etat et nous avons eu gain de cause. Le décret a été réécrit et ne prend plus en compte le motif économique pour demander une RTU. Par contre, l’existence de thérapies alternatives ne constitue plus un frein à une RTU.
Comprenez-vous qu'un patient soupçonne avant tout une démarche commerciale de la part de Roche ?
Dr Yannick Pletan : C’est une accusation injuste. Il y a une manipulation. De tout temps, l’intérêt du patient a primé chez Roche, bien au-delà de l’intérêt économique. Nous sommes en concurrence avec Novartis. Nous n’avons rien à voir avec la procédure contre Roche et Novartis, qui ont été condamnés en Italie.
Par ailleurs, il n’y a pas de problème avec les patients. Eux sont pris en charge à 100 % quoi qu’il en soit dans cette maladie. Si nous avions fait une demande d’AMM, nous aurions probablement eu une ASMR (amélioration du service médical rendu) faible, vu que d’autres thérapies existent, et qu’elles sont plus efficaces. Donc, le médicament aurait été vendu bien plus cher que son prix actuel.