L’Académie nationale de médecine s’inquiète et le fait savoir. Dans un bref communiqué, Jean Costentin, Jean-Pierre Goullé et Gérard Dubois alertent sur les mésusages du Subutex (buprénorphine à haut dosage) et de ses génériques dans le sevrage en héroïne et en opiacés. Ils proposent trois solutions pour améliorer la bonne observance : prescrire la méthadone en première intention, privilégier les génériques « plus difficilement injectables » que le Subutex et généraliser le recours à la Suboxone (naloxone/buprénorphine).
Le Subutex est prescrit en substitution des opiacés chez les personnes qui y sont accros. En France, 150 000 patients reçoivent de la buprénorphine. Mais aux yeux de l’Académie de médecine, ceux qui n’observent pas les règles de l’ordonnance sont trop nombreux. « Le produit est recherché avec avidité par les héroïnomanes, facilement accessible par simple prescription : il donne lieu à un trafic dont les organismes payeurs font les frais », dénoncent les signataires de ce communiqué. Cette formulation provoque un tollé du côté des addictologues. De plus, plusieurs erreurs ont été relevées.
Un accès plus simple aux substituts
La buprénorphine doit être initiée après échec de la méthadone, selon l’Académie de médecine. « Proposer la méthadone en première intention n’est pas possible », objecte le Dr Xavier Aknine, médecin généraliste du pôle MG Addiction à la Fédération Addiction. La raison est double : le Subutex et ses génériques sont plus simples d’accès et peuvent être prescrits par tout médecin. La méthadone, elle, n’est prescriptible que dans certains centres spécialisés, et toujours en hôpital, ce qui limite sa portée. Cette hiérarchie n’est même pas mentionnée dans les recommandations émises en 2004 après la conférence de consensus.
« Le modèle français de substitution repose sur un accès large et facilité à la buprénorphine haut dosage (BHD) qui a grandement contribué à la réduction de la morbidité, de la mortalité et des dommages sociaux depuis 20 ans », rappelle Anne-Claire Brisacier, chargée d’étude à l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT).
Un coût grossi
Avec l’accès élargi au Subutex est apparu un phénomène courant : celui du mésusage. Il concerne environ 15 % des patients sous traitement. Ce phénomène est bien connu des addictologues. Il a plusieurs causes, parmi lesquelles le profil des patients, bien souvent héroïnomanes.
Le mésusage, c’est justement ce qui motive ce point de l’Académie de médecine. Mais MG Addiction, pôle de la Fédération Addiction, dénonce « une présentation malveillante. » Les rapporteurs estiment à 250 millions d’euros le coût du mésusage en France. Un chiffre nullement étayé et difficilement justifiable au vu des 110 000 patients sous traitement. Sans compter que, d’après les derniers chiffres de l’Assurance maladie, seuls 52 millions d’euros ont été remboursés aux assurés.
Un phénomène difficile à identifier
Pour lutter contre le mésusage, la Sécurité sociale a renforcé les mesures de contrôle, censées limiter l’accès non justifié au médicament. Le pharmacien doit notamment inscrire son nom sur chaque ordonnance qu’il délivre. Mais selon un spécialiste du dossier, les « mésuseurs » échappent à cela en échangeant les cartes vitales. Résultat : d’après l’enquête OPPIDUM 2009, 10 % des patients sous Subutex n’ont jamais reçu de prescription.
L’autre problème lié au mésusage, c’est le mode de consommation. Le Subutex est vendu sous la forme d’un comprimé à laisser fondre sous la langue. Mais d’après les données du suivi national de pharmacovigilance, l’injection de Subutex est la principale forme d’utilisation. La solution est simple pour l’Académie de médecine : mettre en avant les génériques, censés être moins facilement injectables. Mais la liste des excipients a été récemment modifiée, et les produits provoquant des nécroses cutanées ont été retirés.
Difficile enfin de définir les patients qui « mésusent ». « Ce sont surtout des patients nomades, qui passent d’un cabinet à un autre, explique Jacques Battistoni, médecin généraliste à Caen (Calvados). Les patients que je connais, ce ne sont évidemment pas ceux-là. » La clé d’un bon usage, selon lui, c’est un dialogue en toute confiance.
Mais l’Académie de médecine, contrairement à ses habitudes, n’a pas consulté de médecins généralistes ou addictologues, pour qui ces considérations semblent évidentes.