Les médecins veulent ouvrir les yeux de leurs patients sur « le véritable coût » des actes médicaux, à l’heure où les négociations sur les dépassements d’honoraires viennent de reprendre. Autrement dit, leur faire comprendre pourquoi ils pratiquent ces fameux dépassements. Pour faire passer leur message, un syndicat de spécialités, l’Umespe, a décidé de lancer une campagne d’affichage. A partir du 6 septembre, des affiches vont donc fleurir dans les cabinets des gynécologues, des cardiologues ou encore des radiologues. Le syndicat souligne que le tarif des actes « est bloqué depuis 20 ans par la sécurité sociale » alors qu’en dix ans seulement, le tarif d’une coupe de cheveux pour homme a, lui, doublé.
Ecoutez le Dr Michel Chassang, président de la Confédération des syndicats médicaux français :"On veut faire comprendre aux patients qu'il y a 2 poids 2 mesures dans la prise en charge des caisses d'assurance maladie".
« L’argument est factuellement faux, assène Matthieu Escot, responsable des questions de santé à l’UFC Que Choisir. Les revenus des médecins, hors dépassements, ont progressé ces 20 dernières années. Nous sommes d’accord pour revaloriser certaines spécialités ou certains actes mais pas tous, loin de là. » Si médecins et malades sont d’accord pour trouver une issue à ce problème, la méthode fait débat. Retour sur l’histoire du secteur 2 et le poids des dépassements d’honoraires.
Pourquoi le secteur 2 a-t-il été créé ?
Le secteur à honoraires libres a été créé en 1980. Il permet aux médecins de fixer librement leurs honoraires, en respectant le tact et mesure. A l’époque, les pouvoirs publics ont voulu satisfaire les revendications tarifaires des médecins libéraux, sans creuser le déficit de la sécurité sociale. Trente ans plus tard, les caisses de la sécu ont continué à se vider et les médecins aspirent toujours à des revalorisations. Dans le même temps, le secteur 2 a fait des émules. En 2010, 1 médecin sur 4 en moyenne exerçait en secteur à honoraires libres et facturait des compléments d’honoraires.
Quel est le poids financier des dépassements d’honoraires ?
Les derniers chiffres de l’assurance maladie, datant de juillet, révélaient que les dépassements sont restés stables en 2011, à 2,4 milliards d’euros. Mais entre 1990 et 2005, ils ont tout simplement doublé. Concrètement, pour les médecins libéraux, le taux moyen de dépassement est de 61% du tarif de la sécurité sociale. Il est de 81% chez les hospitaliers. Une consultation chez un spécialiste de ville coûterait donc en moyenne 45 euros, le patient n’étant remboursé que sur la base du tarif de la sécurité sociale, qui est de 28 euros. Mais, d’une spécialité à l’autre et d’une region à l’autre, les niveaux de dépassements varient considérablement.
Qui sont les plus gros “dépasseurs” ?
Premier constat : les dépassements d’honoraires concernent majoritairement les spécialistes. En 2010, 41% étaient en secteur 2 alors que ce n’est le cas que de 11% des généralistes. Et au sein des spécialistes, les disparités sont énormes : 85% des chirurgiens sont en secteur 2, c’est aussi le cas de 84% des ORL et de 66% des gynécologues obstétriciens.
A titre de comparaison, environ un tiers des pédiatres pratiquent des dépassements. Par ailleurs, selon une enquête de 60 millions de consommateurs, le coût d’une opération de la cataracte peut pratiquement passer du simple au triple selon qu’elle est réalisée au CHU de Toulouse (577 euros) ou à l’Hôtel Dieu à Paris (1490 euros). Comme le déclarait Emmanuel Vigneron dans un entretien à pourquoidocteur en juillet dernier, “il y a des zones entières en France où l’on ne trouve pas de spécialistes au tarif de la sécurité sociale.” Selon une enquête du journal Le Monde, dans des dizaines de départements, moins de 50% des poses de prothèses de hanche et moins de 40% des opérations de la cataracte sont facturées sans dépassement.
Qui paye et quelles sont les conséquences ?
Ces dépassements d’honoraires sont globalement à la charge des patients. Ils prennent en charge 2/3 de cette somme directement, et 1/3 indirectement via leurs assurance complémentaire. En effet, les mutuelles ont tendance à répercuter les augmentations de dépassements d’honoraires sur les cotisations de leurs assurés.
Le lien entre dépassements et renoncements aux soins est donc très souvent établi.Plusieurs études ont mis en evidence que bon nombre de Français renonçaient à se faire soigner faute d’argent. En 2010, une enquête menée par l’institut CSA pour Europe Assistance a meme évalué que 29 % des Français étaient dans ce cas. Cependant, le lien direct entre dépassements d’honoraires et renoncements aux soins n’a jamais été clairement établi. Et certains économistes de la santé soulignent que le reste à charge moyen des ménages en France est de 10 %, soit le plus faible d’Europe.
Néanmoins, lors d’un recent sondage realisé pour le Collectif interassociatif sur la santé, 52% des Français se sont dits favorables à un encadrement des dépassements et 32% à leur interdiction pure et simple.
Quels sont les projets pour juguler les dépassements ?
Les syndicats de médecins, l’assurance maladie et les complémentaires viennent de reprendre les négociations. Les représentants des usagers n’ont pas été autorisés à s’asseoir autour de la table.
Ecoutez Mathieu Escot, responsable des questions de santé l'UFC Que choisir :"Les usagers n'ont pas eu le droit de négocier car notre regard pourrait déranger."
Un point semble faire consensus : mettre fin aux dépassements abusifs des quelque 300 médecins stars en les contraignant éventuellement à quitter le secteur 2. Mais le bras de fer porte surtout sur ces dépassements de 30-40 voire 100 euros dont la population se plaint. Et là, les attentes des uns et des autres ne sont pas facilement conciliables. Les médecins veulent une revalorisation de leurs honoraires, tandis que l’assurance maladie a pour objectif de limiter les dépenses et enfin les complémentaires refusent d’être le dindon de la farce.
Pour débuter ces négociations, le gouvernement a posé sur la table un “contrat de solidarité”. En contrepartie de l'engagement des médecins du secteur 2 à pratiquer des dépassements "modérés", une partie de leurs charges sociales serait payée par l'assurance maladie. De leur côté, "les mutuelles s'engageraient à mieux prendre en charge ces dépassements.
Pour trouver un terrain d’entente, les parties en présence n’ont plus qu’un mois et demi devant elles. Si le 17 octobre, les négociations ont échoué, la ministre de la Santé reprendra la main. Elle aura alors la possibilité de prendre des mesures législatives plus strictes pour encadrer les dépassements d’honoraires.