« Insalubre ? Le mot est bien faible, Madame ! » Quand on interroge les policiers sur l’état de leur parc immobilier, les mines se font sombres. « Il y a certains commissariats... on a du mal à concevoir que l’on puisse travailler dedans », soupire Emmanuel Cravello, secrétaire régional du syndicat Alliance Police Nationale dans les Hauts-de-Seine.
La tuberculose a fait une victime et deux cas suspects dans les locaux d’un commissariat à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine). Mais cela ne semble étonner personne. « Depuis le temps qu’on alerte les autorités… », s’agace Frédéric Jung, secrétaire départemental d'Unité SGP Police-FO dans le Val d'Oise. Et encore, le commissariat d’Asnières n’est pas le plus mal loti, avec ses locaux « un peu vétustes », de l’avis de la branche 92 du syndicat.
Gale, légionellose, rats…
De fait, il y a pire. A Paris et dans sa petite couronne, sur les quelques deux cents sites dédiés à la police, la grande majorité manifesterait des entorses parfois graves aux règles d’hygiène et de sécurité. « On a des soucis de potabilité de l’eau dans certains locaux, mais aussi de légionellose au niveau des douches, ou encore de rongeurs, décrit Emmanuel Cravello. Sur certains sites, avec la chaleur, la température peut atteindre 45 degrés, ou, au contraire, descendre très bas l'hiver. La problématique de l’amiante est assez récurrente, également ».
Autant de réjouissances qui ne rassurent pas les policiers. A l’autonome 2012, une épidémie de gale s’est déclarée dans des locaux à Vannes (Morbihan). Huit cas ont été recensés parmi les policiers et les gendarmes. Dans le Val d’Oise, à Deuil-la-Barre, deux policiers ont également été victimes de cette maladie en octobre dernier. Le commissariat a reçu le « 17 d’or », qui distingue les locaux les plus vétustes. « Nous demandons depuis des années qu’un grillage soit installé entre les planchers et les plafonds des préfabriqués, pour que les animaux (oiseaux, rats...) cessent de se loger entre les algecos », déplore Frédéric Jung. Le grillage n’est jamais arrivé ; oiseaux et rats continuent de s'y loger.
« Certains doivent ramener leur papier toilette ! »
Ces anomalies ont été régulièrement dénoncées aux autorités. Selon un rapport parlementaire mené par le sénateur Jean-Vincent Placé, 41 % du parc immobilier de la police se trouve dans un état insalubre. « Nous avons dû prioriser les locaux les plus lamentables et mettre de côté les autres, qui auraient pourtant besoin d’un coup de neuf », explique Emmanuel Cravello. Dans les Hauts-de-Seine, par exemple, plusieurs sites figurent sur les listes d’urgences – Saint-Cloud, Sèvres, Suresnes, Nanterre.
Le matériel sanitaire fait lui aussi cruellement défaut, notamment celui prévu en cas d’épidémie. Il existe bien des protocoles pour éviter, par exemple, la contamination auprès de personnes interpellées par les policiers. Mais la plupart des sites ne disposent ni de masques, ni de gants. Le savon est une denrée rare, le gel hydro-alcoolique, une perle précieuse. « Certains policiers en sont venus à ramener leur propre papier toilette au travail… On en est là ! », s’alarme Emmanuel Cravello.
Contraintes budgétaires obligent, les réclamations de matériel sombrent souvent dans les tréfonds de l'administration. « A chaque demande de matériel, il faut s’y prendre à plusieurs reprises, budgéter le tout… Du coup, c’est toujours lorsque le pire arrive que les choses bougent. A Asnières, ils ont effectivement fini par trouver un stock de masques. »
Le commissariat de Béziers est l'un des rares à avoir obtenu gain de cause. Une enveloppe de
120 000 euros lui a été allouée pour réaliser des travaux. © Unité police SGP-FO
Opacité
L’Etat, garant de la santé de ses fonctionnaires ? Les syndicats de policiers sont sceptiques, eux qui ont de plus en plus recours « au système D » pour assurer une hygiène sommaire et une sécurité minimale sur leur lieu de travail. Et le tout, en silence, puisqu’ils n’ont pas le droit de s’exprimer publiquement. A Asnières, le journal Le Point raconte les pressions subies par les fonctionnaires pour que l’affaire de la tuberculose ne s’ébruite pas. « C’est sûr qu’il y existe une opacité de l’administration sur ces sujets, souligne Emmanuel Cravello. Mais il y a des gouttes d’eau qui font déborder le vase. L’affaire d’Asnières en est une. »