La polémique fait rage aux Etats-Unis depuis la publication sur Youtube il y a quelques jours d’une vidéo réalisée, en caméra cachée, par une association anti-avortement, et relayée mercredi par Le Figaro.
La longue vidéo, tournée en 2014 dans un restaurant, montre le Dr Deborah Nucatola, directrice d’un des centres de planning familial américain (Planned Parenthood), attablée dans un restaurant pour ce qu’elle pensait être un déjeuner professionnel. Ses interlocuteurs s’étaient présentés comme travaillant pour une société de biotechnologie. Il s’agissait en réalité de militants pro-vie, de l’association The Center for Medical Progress (CMP).
Récupération politique
Au cours de la discussion, les militants s’enquièrent de la possibilité d’obtenir des organes et tissus issus de fœtus avortés, à des fins de recherche. La Dr Deborah Nucatola explique alors en détail les possibilités, et les différents types d’échantillons qu’elle peut effectivement fournir. Le coût est également abordé, entre « 30 et 100 $ » comme on peut le lire à la page 4 de la retranscription, également disponible sur le site du CMP.
Des déclarations qui, présentées hors contexte, ont soulevé un tollé outre-Atlantique : bien que la vidéo dure plus de deux heures et demie, le CMP propose sur son site un « résumé » de 9 minutes, qui élude de nombreux détails de la conversation. Pour l’association, il ne fait cependant aucun doute que la discussion avec Deborah Nucatola démontre que le planning familial fait commerce des tissus fœtaux. Plusieurs politiciens du parti Républicain, parti historiquement anti-IVG, se sont rapidement emparés de l’affaire, comme le relate le New York Times, allant jusqu’à parler de vente de « morceaux de bébé ».
On peut lire dans le quotidien que le gouverneur de la Louisiane, Bobby Jindal, a demandé que le FBI se saisisse de l’affaire, qu’il estime être « criminelle. » Au Texas, le gouverneur Rick Perry considère que cette vidéo rappelle les « penchants de cette organisation [Planned Parenthood, NDLR] à tirer profit de la destruction de vies humaines. »
Depuis, le porte-parole de Planned Parenthood, Eric Ferrero, a rappelé dans un communiqué que les femmes qui subissaient une interruption volontaire de grossesse ont la possibilité de faire don des tissus fœtaux pour des programmes de recherche. Dans ce cadre, et uniquement avec le consentement des femmes, les centres de planning familial peuvent transmettre des cellules ou tissus de fœtus à des équipes de recherche. Quant aux sommes reçues en échange de ces échantillons, Eric Ferrero stipule qu’il ne s’agit en aucun cas de profit, mais de sommes permettant de dédommager le centre pour les frais liés au don (notamment le transport).
Excuses de la présidente du Planning
Ce jeudi, Cecile Richards, présidente de la fédération nationale des centres de planning familial, a tenu à mettre les choses au clair, également dans une vidéo postée sur Youtube. Elle y redéfinit les bases légales du don de tissu fœtal, notamment pour des programmes de recherche sur les maladies d’Alzheimer et de Parkinson : « Les femmes qui font le choix de faire ce don devraient être respectées, et non pas attaquées ».
En France, un don légal, mais très encadré
Les femmes qui ont recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG) en France ont la possibilité de faire don des tissus et organes du fœtus pour des programmes de recherche. Le cadre légal de ces travaux scientifiques est régi par la loi de bioéthique de 2004 et un décret de 2007. Comme le rappelle un avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) : « Ces tissus ne peuvent être prélevés, conservés et utilisés qu’après un consentement écrit de la femme, après information sur les finalités, et postérieurement à la décision d’interruption de grossesse. »
Les chercheurs qui souhaitent obtenir des tissus de fœtus avortés doivent remplir un dossier disponible sur le site de l’Agence de la biomédecine, contenant notamment le contexte scientifique des recherches, les objectifs, des références bibliographiques. Les chercheurs doivent aussi fournir un exemplaire du formulaire de consentement qui sera soumis aux femmes. L’Agence de biomédecine se charge d’instruire la seule recevabilité du dossier : « Nous ne donnons pas un « avis », nous sommes en charge de vérifier à réception du dossier que toutes les pièces requises sont présentes, explique Thomas Van Den Heuvel, directeur adjoint de la direction juridique de l’Agence de biomédecine. Ensuite, le dossier est transmis au ministère de la Recherche, qui peut lui opposer son véto. » La loi précise qu'aucun tissu ne peut être prélevé lorsque l’IVG concerne une mineure.
Cecile Richards martèle que les accusations de CMP sont totalement fausses. « Nous connaissons très bien les motivations des organisations derrière ce genre de vidéo. Leur mission est d’interdire l’IVG définitivement et d’éloigner les femmes du planning familial et des autres centres de soins », s’insurge Cecile Richards.
La responsable de Planned Parenthood concède cependant que certains propos tenus dans la vidéo du CMP par « un membre de l’équipe » ne reflètent pas la compassion avec laquelle les soins doivent être prodigués dans les centres du planning familial : « C’est inacceptable et je m’excuse personnellement pour les propos et le ton employé par ce membre de notre équipe. »
Dans la foulée, deux députés démocrates, John Conyers et Steve Cohen, ont réagi pour apporter leur soutien au planning familial : « La vidéo ne prouve en rien que Planned Parenthood « vend » des tissus fœtaux », ont-ils déclaré dans une déclaration commune rapportée par le Huffington Post.