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Journée mondiale

Aide humanitaire : les blouses blanches de plus en plus exposées

Par Anne-Laure Lebrun

A l'occasion de la 12e journée mondiale de l'aide humanitaire, l'OMS rend hommage aux personnels de santé et lance un appel pour les protéger des violences sur les zones de conflits.

Rahmat Gul/AP/SIPA

Conflits armés, catastrophes naturelles, épidémies, pour toutes ces situations, l’aide humanitaire est une absolue nécessité. Des actions pour lesquelles s’engagent près de 200 000 personnes dans le monde. Pour leur rendre hommage, les Nations Unies ont choisi la date du 19 août, en mémoire de l’attentat perpétré à Bagdad le 19 août 2003 qui a tué 22 travailleurs humanitaires, dont Sergio Vieira de Mello, Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme et représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU en Irak.

A l’occasion de cette 12e journée mondiale de l’aide humanitaire, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) lance un appel pour protéger ces hommes et femmes présents sur des terrains de plus en plus dangereux. Car à en croire les chiffres, la multiplication des conflits accroît considérablement le nombre d’attaques visant les personnels de santé. 

L’OMS rapporte, en effet, qu’au cours de l’année 2014, 372 attaques ont été menées contre les travailleurs humanitaires dans 32 pays. Des violences ayant entraîné la mort de 603 personnes et 958 traumatismes. Autant d’incidents auraient déjà été recensés pour 2015 alors que l’année n’est pas encore finie.

Le droit humanitaire bafoué

« L’OMS est attachée à sauver des vies et à atténuer les souffrances en temps de crise, a déclaré le Dr Margaret Chan, Directeur général de l’OMS. Les attaques perpétrées contre des agents de santé et des établissements de soins constituent des violations flagrantes du droit humanitaire international. Les personnels de santé ont l’obligation de soigner les malades et les blessés sans discrimination. Toutes les parties au conflit doivent respecter cette obligation ».

Mais force est de constater que les autorités ou factions armées en place dans des zones de conflit s’opposent à l’aide humanitaire et limitent l’accès aux populations. « Dans certains pays comme le Yémen, la Syrie, le Soudan ou le Pakistan, nos équipes sont en danger. Ce sont des pays où l’on ne peut pas mener notre action en toute liberté et sécurité », signale Mego Terzian, président de Médecins Sans Frontières (MSF) France.

De fait, « au Yémen, par exemple, 5 agents de santé ont été tués et 14 ont été blessés au mois de juin », indique l’OMS. Et ces attaques ne concernent pas seulement les travailleurs humanitaires mais également les établissements de soins. « Rien qu’au Yémen, 190 centres ne sont plus opérationnels et 183 autres le sont partiellement en raison du conflit en cours, dont 26 ont été attaqués depuis mai 2015 », ajoute l’Organisation. Une situation semblable est retrouvée en Irak. Pour les populations, ces actions ciblées sont dramatiques. Des milliers d’adultes et d’enfants sont privés de soins, de médicaments ou même d’abri.

Violence, réalité du terrain

« Cependant, je ne crois pas que le monde est devenu plus dangereux pour les travailleurs humanitaires. Dès les premiers jours de la création de MSF, nous avons assumé de travailler dans des pays en guerre. Les attaques à l’encontre des humanitaires ne sont pas, à mon sens, des événements récents. Ils existent depuis des décennies malheureusement », déplore Mego Terzian.

Comme argument, il cite des chiffres présentés dans le rapport sur la sécurité des travailleurs humanitaires (The Aid Worker Security Report, en anglais) de 2013. « Celui-ci montre que le nombre de morts, de blessés et de kidnappés est resté stable entre 1997 et 2012 oscillant entre 50 et 60 victimes pour 100 000 travailleurs et par an », souligne-t-il. Une stabilité possible grâce à l’accroissement du nombre d’agents exposés.

Le danger a changé de visage

« Depuis la guerre en Afghanistan entre les Soviétiques et les djihadistes, MSF a assumé le fait de travailler dans des zones de conflits. A l’époque, nous craignions les bombardements aériens de l’armée soviétique, alors qu’aujourd’hui, dans le même pays, on craint les factions armées afghanes et les groupes djihadistes transnationaux », relate Mego Terzian.

Selon certains politologues et économistes, comme Paul Collier ou Mary Kaldor, la fin de la Guerre Froide a fait naître de nouveaux conflits plus violents. « Ces nouvelles guerres » reposent sur des mobilisations identitaires et religieuses alors que l’affrontement Est-Ouest était idéologique. Elles ne bénéficieraient pas du soutien de la population et cibleraient particulièrement les civils, donnant lieu à des crimes de masse (comme au Rwanda) et des déplacement forcés.

Des modèles à nouveau modifiés après le 11 septembre 2001 et l’intervention des Etats-Unis et leurs alliés en Afghanistan et Irak. En qualifiant ces interventions militaires d’opérations de maintien de la paix et d’actions humanitaires, les Etats ont jeté un doute sur les motivations des organismes humanitaires et les ont intégrées aux conflits. Aux yeux des organisations terroristes, les humanitaires ne sont ni neutres ni indépendants.

Sources : Les guerres civiles à l'ère de la globalisation, de Roland Marchal et Christine Messiant publié dans Critiques Intertenationales. Ed. Presse de Sciences Po

Croissance et inquiétudes des organisations humanitaires, Fabrice WEISSMAN

« Nous sommes des cibles »

Mais ce relatif équilibre masque la grande diversité des situations et l’évolution du danger. « Aujourd’hui, les travailleurs humanitaires sont assimilés à l’Occident accusé d’être derrière les guerres en Syrie ou en Lybie. Nous sommes donc des cibles. Au début de notre action, nous étions naïfs. Nous pensions que notre profession de médecin et notre mission médicale nous protégeraient, mais ce n’est pas le cas », explique Mego Terzian. 

Pour mener à bien leurs actions dans les pays en guerre, les organisations humanitaires entament le dialogue avec les belligérants pour tenter d’obtenir certaines garanties de sécurité de leur part. Mais ces négociations ne portent pas toujours leurs fruits et leur impact est difficile à évaluer. « Nous ne sommes pas des organisations expertes dans la gestion de sécurité », rappelle-t-il.  

 

Ecoutez...
Mego Terzian, président de Médecins Sans Frontières France : « Au Yémen, ces cinq derniers mois, nous avons parlé avec les belligérants pratiquement tous les jours. Nous n’avons pas eu de victimes. Alors est-ce dû à l’efficacité de nos négociations ? Honnêtement, j’ai des doutes. »


Et lorsque ces conditions ne sont pas réunies, MSF renonce à intervenir, comme c’est le cas en Somalie ou en Syrie. « Nous avions obtenu de l’Etat islamique que la sécurité de nos hôpitaux et celle de nos équipes soient respectées. Mais en janvier 2014, plusieurs de nos collègues ont été enlevés par l’organisation terroriste, dont cinq retenus captifs pendant plusieurs mois, raconte Mego Terzian. Nous avons alors considéré que notre mission médicale était attaquée et les garanties de sécurité insuffisantes ». Depuis février 2014, et malgré la libération des otages en mai de la même année, l’action de MSF est restée réduite en Syrie. A l’heure actuelle, l’association gère seulement 3 hôpitaux dans le nord du pays contre 9 avant l’attaque.

Du côté de l’OMS, on ne détaille pas de plan de protection ou de recommandations à appliquer. « La présente campagne sert à appeler l’attention sur les menaces auxquelles sont exposés les agents de santé et sur la nécessité d’intensifier l’action pour les protéger », précise-t-on dans un communiqué.

L’agence onusienne évoque toutefois le manque de moyens financiers qui aggrave les difficultés rencontrées par les équipes de terrain. « À l’heure actuelle, l’OMS et ses partenaires ont besoin de plus de 1,7 milliard de dollars afin de soutenir les actions menées dans 32 situations d’urgence, au bénéfice de plus de 60 millions de personnes. À elle seule, l’OMS a besoin de plus de 530 millions de dollars – dont elle a reçu moins de 30 % ». Des sommes astronomiques qui illustrent le besoin d'investir dans l'humanitaire.