En sept ans, les signalements de ruptures d’approvisionnement de médicaments ont été multipliés par 10, selon l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Il ne se passe pas un jour sans qu’un pharmacien ne puisse pas délivrer un médicament à un de ses patients. Au point qu’en Corse, les pharmaciens n’hésitent pas à parler de pénurie.
Dans un article paru ce mercredi dans les pages de Corse Matin, les pharmaciens de la région d’Aléria en Haute-Corse témoignent de leurs inquiétudes. « Ils (les patients, ndlr) peuvent attendre jusqu’à deux mois leurs médicaments », rapportent nos confrères. Ils déplorent les manques, mais également l’absence d’informations concernant le réapprovisionnement.
Le système de déclarations, le DP-rupture, permet aux milliers de pharmaciens français d’indiquer quels médicaments sont en rupture. Contactée par Pourquoidocteur, Isabelle Adenot, présidente de l’Ordre des pharmaciens, relativise : « Les ruptures d’approvisionnement existent et elles sont en augmentation depuis plusieurs années. Néanmoins, on ne peut pas parler de pénurie de médicaments en France. »
32 ruptures à risque
D’après le dernier recensement de l’ANSM en juillet 2015, « sur 11 000 médicaments, il manquait exactement 301 médicaments en France, soit 1,9 % », relève la présidente de l’Ordre national des pharmaciens. Parmi ces ruptures, certaines ne sont pas « gênantes », soit parce qu’elles ne durent que quelques jours, soit parce qu’il existe des équivalents tels que les génériques.
Cependant, 32 ruptures concernent des médicaments « sans alternatives thérapeutiques disponibles pour certains patients ou dont les difficultés d'approvisionnement à l'officine et/ou à l'hôpital, peuvent entraîner un risque de santé publique », précise l’ANSM. Parmi eux, on peut trouver des antibiotiques, des vaccins comme le BCG, ou des traitements pour Parkinson.
Et selon les chiffres de l’Ordre que Pourquoidocteur a consultés, la Corse ne semble pas plus touchée qu’une autre région de France. « En revanche, en semaine 33 (du 10 au 16 août 2015), nous avons reçu deux fois plus de déclarations de ruptures pour la Corse que pour les autres départements », indique Isabelle Adenot, avant d’ajouter qu’en semaine 34, la situation était inversée.
Des ruptures régulières
Malgré tout, ces tensions d’approvisionnement de plus en plus fréquentes posent problème aussi bien en ville qu’à l’hôpital. « Il y a cinq ans, nous avions nettement moins de soucis », souligne la présidente de l’Ordre. Pour remédier à ces ruptures, ou au mieux, les éviter, l’article 36 de loi de santé – votée au Sénat en octobre prochain – prévoit que « lorsqu’un industriel, avec l’ANSM, déclarera que son médicament est d’intérêt thérapeutique majeur ou MITM, alors il aura l’obligation d’établir un plan de gestion de pénurie. Il aura par ailleurs l’interdiction d’exporter ce médicament si celui-ci manque », explique Isabelle Adenot.
Cette loi viendra renforcer un système français reposant sur plusieurs garde-fous. Le premier repose sur les obligations que doivent respecter les grossistes répartiteurs. Ces derniers doivent par exemple toujours avoir 15 jours de stock et doivent fournir la France avant d’exporter. Ainsi, quand un pharmacien manque d’un certain médicament, il est censé pouvoir se réapprovisionner rapidement et en priorité auprès de ses grossistes référents.
Manque de matières premières
Reste que le système actuel et futur ne règle pas les difficultés de production qui sont à l’origine de la majorité des ruptures. Le manque de matières premières est par exemple responsable de 17 % des ruptures et les défauts de qualité en causent quant à eux 13 %, selon l’ANSM. La présidente de l’Ordre cite également la hausse des demandes à l’échelle mondiale, notamment liée aux nouvelles recommandations, les retards de fabrication ou encore les problèmes de transport.
Dans le cas des MITM qui, en cas de rupture, pourraient mettre en danger vital les patients, l’ANSM peut avoir recours à l’importation chez nos voisins étrangers. Mais encore faut-il qu’ils aient ces médicaments, car comme le rappelle Isabelle Adenot, « ce n’est pas un problème franco-français, tous les pays sont touchés. Mais nous sommes bien protégés. »