Dans la mythologie grecque, la chimère est une créature fantastique à tête de lion, corps de chèvre et queue de serpent. Des millénaires plus tard, la médecine a récupéré ce monstre cruel pour caractériser un organisme constitué de plusieurs cellules ayant des origines génétiques différentes.
Aujourd’hui, nous sommes tous potentiellement des chimères. Transfusion sanguine, greffe d’organe, nous transforment en créature mythique. Mais l’événement le plus fréquent au monde est certainement la grossesse. En effet, au cours de ces 9 mois, la mère et le fœtus échangent des gaz, des nutriments, mais également des cellules. Après avoir traversé le placenta, les cellules fœtales migrent dans l’organisme de la mère. Nichées dans les poumons, les intestins ou encore la peau, certaines échappent au système immunitaire et persistent très longtemps, parfois des décennies après la naissance de l’enfant.
Leur devenir et leurs effets sur l’organisme de la mère suscitent de vifs débats dans le monde scientifique. C’est pourquoi une équipe de recherche de l’université d’Etat d’Arizona a examiné les études disponibles sur le microchimérisme fœtal. Elle publi ses résultats dans l’édition anticipée de BioEssays.
Protectrices...
« Les cellules fœtales peuvent agir comme des cellules souches et se transformer en cellules épithéliales, cardiaques ou du foie, explique Amy Boddy, chercheur au département de psychologie à l’université d’Etat d’Arizona et responsable des travaux. Ces cellules sont donc très dynamiques et peuvent jouer un rôle important dans le corps de la mère. Elle peuvent même migrer jusqu’au cerveau et se différencier en neurones. »
Plusieurs travaux ont montré que ces cellules sont capables de coopérer avec différents tissus et favorisent la cicatrisation. En effet, on retrouve ces cellules au niveau des plaies, notamment au niveau de l’incision pour la césarienne. Certaines observations suggèrent également leur rôle dans la réparation tissulaire du cœur ou du foie. Comme pour une thérapie cellulaire, ces cellules multipotentes sont capables de devenir des cardiomyocytes ou hépatocytes selon l’environnement dans lequel elles se trouvent pour remplacer les cellules défectueuses ou mortes.
CREDIT : Written by Athena Aktipis, Amy Boddy, Joe Caspermeyer, Angelo Fortunato, Richard Harth, Carlo Maley and Melissa Wilson Sayres, Arizona State University. Produced by Indivio Media, Indivio.com
... ou néfastes
Mais parfois, sans que l'on sache encore pourquoi, ces cellules peuvent se retourner contre leur hôte et favoriser l’apparition de maladies auto-immunes. De fait, reconnues comme étrangères par le système immunitaire de la mère, ces cellules sont détruites, ce qui contribue à générerer une réaction d’inflammation. Ce processus pourrait expliquer en partie pourquoi l’arthrite rhumatoïde est 3 fois plus fréquente chez les femmes que chez les hommes, relèvent les auteurs. Les cellules fœtales sont également citées dans la survenue du lupus ou de la cirrhose biliaire.
Leur responsabilité est également évoquée dans certains cancers. Dans le cas du cancer du sein, leur rôle est complexe. Les cellules fœtales sont généralement retrouvées en faibles quantités chez les femmes souffrant d’un cancer du sein comparées aux femmes en bonne santé, ce qui suggère un rôle protecteur. Néanmoins, certaines données indiquent que ces cellules microchimériques sont associées à un risque accru de cancer du sein les années suivant la grossesse. Chez les mères atteintes de cancer du poumon, « on retrouve significativement plus de cellules microchimériques dans le tissu malade que dans le tissu sain », note Laetitia Albano, néphrologue au CHU de Nice dans un document de la société de néphrologie.
Un puzzle complexe
Les cellules fœtales sont donc l’une des pièces d’un puzzle complexe et encore mal compris. Et pour compliquer encore plus les choses, les grossesses suivantes apportent, elles aussi, leur lot de cellules microchimériques, introduisant potentiellement des rivalités entre les cellules maternelles et fœtales, mais également entre les différentes cellules fœtales, soulignent les auteurs.
« Si de prochains travaux confirment ces différentes relations, cela pourrait transformer le traitement et la prévention de plusieurs maladies affectant les femmes, et particulièrement les nouvelles mères », commente Athena Aktipis, co-auteure de l’étude. Mais pour cela, les méthodes de détection de ces cellules devront être améliorées afin d’être plus précises.