Depuis le mois d’avril et jusqu'en novembre, Simon Bryant est en mission humanitaire à bord du Phoenix. Ce bateau de 40 mètres de long, dépêché par l’ONG et le MOAS (Migrant Offshore Aid Station), sillonne les eaux au large des côtes libyennes pour secourir les réfugiés qui se pressent dans les embarcations des passeurs. Ces opérations ont déjà permis de sauver 10 000 personnes en un an.
Simon Bryant est le seul médecin à bord. D’origine canadienne, il apporte les premiers secours aux rescapés de la mer, qui sont par la suite débarqués en Italie. Contacté par Pourquoi Docteur, il raconte son quotidien par Skype pendant que le navire chemine vers la zone de sauvetage.
En quoi consiste la prise en charge sanitaire des réfugiés, à bord du Phoenix ?
Simon Bryant : Nous avons une certaine capacité sur le bateau, puisque nous disposons d’une petite clinique équipée et d'un large stock de médicaments. Certaines personnes souffrent de pathologies chroniques – diabète, hypertension… J’ai pris en charge une femme atteinte d’insuffisance rénale qui devait faire une dialyse en urgence. Elle n’avait pas reçu de soins depuis trois semaines et se trouvait dans un état extrêmement faible. Elle a été évacuée du bateau par hélicoptère. La rupture de soins chez ces patients est un grave problème.
D’autres personnes souffrent de blessures contractées au cours de leur périple, notamment en Libye, dans des centres informels de détention où elles vivent des situations très difficiles avant de monter à bord des embarcations. Là-bas, les réfugiés sont victimes d’agressions, de violences, de vols, ou encore de viols. Lorsqu’ils sont recueillis sur le Phoenix, ils présentent des pathologies traumatiques.
Enfin, à bord des bateaux, les réfugiés sont exposés aux émanations de pétrole, aux fumées, à l’eau qui inonde les cales, ainsi qu’à la chaleur et à la déshydratation. Les hydrocarbures souillent leurs vêtements et brûlent leur peau, à cause des frictions. Nous devons leur fournir immédiatement des vêtements propres. Plus trivialement, un très grand nombre de personnes souffrent de mal de mer…
Vous avez fait partie des équipes qui ont découvert une embarcation avec quarante personnes mortes dans la cale…
Simon Bryant : En effet. C’est une épreuve douloureuse. Cela s’est passé il y a quelques jours. Quand je suis descendu dans la cale, j’ai cherché parmi tous ces corps quelqu’un qui montrerait des signes de vie. J’ai trouvé un survivant. Il était inconscient mais il respirait, nous l’avons ramené à bord du Phoenix et nous l’avons intubé en attendant l’hélicoptère qui l’a évacué dans un hôpital de l’île de Lampedusa, en Italie. Depuis, on m’a dit qu’il allait mieux. C’est une petite consolation.
Les autres n’ont pas eu cette chance. Ils sont morts à cause d’une combinaison d’éléments, empoisonnés par les vapeurs de monoxyde de carbone, étouffés par la chaleur et la foule de personnes – ces embarcations transportent 500 à 600 personnes. Cela n’aurait jamais dû arriver. On n’imagine pas ce que ces personnes vivent, à quel point c’est inhumain, indigne. Certaines auraient peut-être pu rester en sécurité chez elles, mais la très grande majorité des migrants n’ont tout simplement pas le choix et ne peuvent pas revenir dans leur pays.
Reportage à bord du Phoenix - The Migrant Offshore Aid Station
Est-ce qu’il y a une prise en charge psychologique à bord du Phoenix ?
Simon Bryant : Oui, nous prodiguons ce qu’on appelle des premiers soins psychologiques. Il s’agit d’une assistance, notamment pour ceux qui craquent. Car dans ces circonstances, avec tant de personnes, tant de difficultés, beaucoup de choses remontent à la surface – le stress, la paranoïa… Certains sont parfois pris de crises, de délires. Nous avons des médicaments psychiatriques, des sédatifs, au cas où. Cette assistance psychologique est fondamentale, parce qu'à travers ces soins, nous essayons de traiter tout le monde avec dignité.
Mais il faut comprendre que notre démarche – chercher et sauver – n’est pas suffisante. C’est incroyable, le travail des équipes, ici. Mais le reste de l’équipe, c’est le monde. On n’a jamais vu autant de personnes déplacées depuis la seconde guerre mondiale. On ne peut pas ignorer un problème devenu global.
Sur le territoire français, la prise en charge sanitaire des migrants repose intégralement sur les associations qui travaillent à leurs côtés. En juin, le gouvernement a affiché sa volonté de créer des centres pour accueillir les réfugiés rassemblés dans des camps de fortune. Mais aucun dispositif spécifique n’a été mis en place par les autorités pour leur assurer un accès aux soins.
Sur le terrain, Médecins du Monde reste l’acteur incontournable pour l’accompagnement sanitaire des réfugiés. Au cours de maraudes, des bénévoles proposent des consultations de médecine générale dans les camps et fournissent des traitements adaptés. Pour les blessures ou les pathologies qui nécessitent des soins plus poussés, ces patients sont orientés vers les PASS (permanences d’accès aux soins de santé), des consultations hospitalières pour les personnes qui ne disposent pas de couverture médicale. Mais en réalité, peu de migrants s’y rendent. Les services sont souvent saturés ; à Calais, des interpellations ont régulièrement lieu sur le chemin qui mène à la PASS de l’hôpital.