Sur les 100 à 120 000 infarctus qui surviennent chaque année en France, près de 4000 seraient imputables à des conditions de travail stressantes. C’est une étude menée dans 7 pays d’Europe sur près de 200 000 travailleurs et publiée aujourd’hui dans la revue médicale The Lancet qui enfonce le clou. Le stress au travail n’est pas seulement néfaste pour le moral, il porte au cœur aussi et augmente de 23% le risque d’infarctus.
Les effets du stress sur le cœur sont doubles. D’une part, les personnes stressées ont tendance à multiplier les comportements nocifs pour leur santé cardiovasculaire. Pour « compenser » leur stress, elles fument plus, consomment plus d’alcool, d’aliments gras, salés ou sucrés et font moins d’activité physique. Et en parallèle, le stress agit directement sur le muscle cardiaque en augmentant la sécrétion d'une hormone: le cortisol.
Résultat marquant de cette grande étude européenne, quelque soit le métier, le mode de vie, l’âge, le sexe ou la nationalité du travailleur, le sur-risque d’infarctus est identique, de l’ordre de 25%. Preuve que le stress au travail est, en lui-même, un facteur de risque.
Ecoutez Marcel Goldberg, épidémiologiste de l’unité Inserm 1018 Epidémiologie et Santé des populations : « Gaziers, administratifs des ministères, hospitaliers, les effets du stress pour le cœur sont les mêmes pour tous »
Le niveau de stress des travailleurs a été évalué par des questionnaires qui portent sur deux dimensions : le niveau de contraintes imposées (horaires, urgence…) et la latitude décisionnelle accordée à la personne. Le stress au travail est maximal lorsque la personne est soumise à de très fortes contraintes sans avoir aucune latitude pour adapter ses propres conditions de travail.
Ecoutez Marcel Goldberg : « L’exemple type, c’est le travail à la chaîne, contraintes maximales et aucune latitude décisionnelle »
Pour le psychiatre Patrick Légeron, qui a fondé en 1989 un cabinet de conseil spécialisé dans la prévention du stress au travail, il n’y a pourtant aucune fatalité. Agir sur les facteurs de stress au sein des entreprises est possible et ne demande pas de révolution majeure dans les organisations.
Ecoutez le Dr Patrick Légeron, psychiatre : « Améliorer les horaires, réguler l’utilisation des mails, ce sont de petites choses très efficaces »
Selon ce spécialiste, les entreprises françaises commencent à peine à sortir du déni. Des accords entre partenaires sociaux sur le stress au travail ont été signés en 2008 quand les Danois les appliquent depuis 1977.
La justice a également changé d’attitude. La mise en examen en juillet dernier de l’ex-PDG de France Telecom, Didier Lombard pour harcèlement moral après les suicides de salariés survenus en 2008 et 2009 est une première en France. « On peut très bien imaginer demain des poursuites en justice d’entreprises ayant mené des salariés à l’infarctus par un environnement de travail stressant », poursuit Patrick Légeron. La reconnaissance d’un infarctus comme maladie professionnelle aurait aussi des conséquences financières non négligeables pour l’Assurance Maladie.
Ecoutez le Dr Patrick Légeron : « En cas de maladie professionnelle, c’est aux employeurs de payer et pas au régime général des salariés ».
Mais sans même parler de l’indemnisation d’une maladie professionnelle, l’addition est de toute façon salée pour l’employeur. « IBM l’avait déjà calculé dans les années 90, raconte Patrick Légeron. Lorsque l’un de ses cadres supérieurs faisait un infarctus, recruter dans l’urgence et gérer la déstabilisation de l’équipe lui coûtait un million de dollars. » Mieux vaut prévenir que guérir serait donc un adage aussi médical qu’économique.