« Un premier pas vers la nutrition personnalisée. » C’est ainsi que le Pr Karine Clément, professeur de nutrition à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris) décrit ses derniers travaux, réalisés en collaboration avec l’université de Göteborg (Suède). Parus dans Cell Metabolism, ils concluent à l’efficacité d’un nouveau modèle mathématique qui permet de prédire l’impact d’un régime selon la composition de la flore intestinale, le microbiote.
« Décloisonner la recherche »
Cette publication est la première étape d’un projet européen, le programme Metacardis, coordonné par le Pr Karine Clément. L’Institut de Cardiométabolisme et de Nutrition (Ican, situé à la Pitié-Salpêtrière) et l’université de Göteborg travaillent ensemble à l’élaboration de ce modèle mathématique. Les données nutritionnelles sont fournies par l’équipe française. Les Suédois sont chargés du développement du logiciel de calcul.
« Le projet est basé sur l’hypothèse qu’en combinant la connaissance des apports alimentaires et l’analyse du microbiote, on peut parvenir à une nutrition adaptée à chacun », résume le Pr Clément, contactée par Pourquoi docteur. Pour y parvenir, il a fallu « décloisonner la recherche », précise-t-elle. En effet, la plateforme de calcul mathématique est la pierre angulaire de cette hypothèse.
Pour la mettre au point, les mathématiciens suédois ont utilisé les données d’une étude menée en 2013 à l’Ican. Une cinquantaine de personnes obèses a participé à un programme de perte de poids avec intervention diététique. Ces volontaires ont aussi fourni des échantillons de leur sang et de leur microbiote. Parus dans Nature, les travaux démontrent une réelle différence selon la richesse de la flore intestinale. Un microbiote "pauvre" augmente ainsi le risque de développer des maladies cardiométaboliques.
Prédire les déficits de production
Le modèle mathématique « observe les échanges entre les bactéries intestinales, explique Karine Clément. Ce sont des sortes d’usines qui utilisent les aliments et les transforment en produits chimiques qu’on appelle métabolites (des sucres, les acides aminés, des lipides). Toutes ces "usines" n’ont pas la même action. En modulant tels aliments et tel profil de flore, différents acides gras ou acides aminés seront produits. »
C’est la première fois qu’un modèle parvient à prédire l’influence de l’alimentation sur la production de métabolites. Plusieurs séries de tests, en laboratoire et en clinique, ont permis de confirmer qu’il fonctionne bien. Cette faculté prédictive peut s’avérer précieuse pour les nutritionnistes dans le futur, car elle ouvre une percée dans le domaine de la nutrition personnalisée. « En principe, en combinant les connaissances sur l’alimentation et la flore du patient, le modèle peut prédire les déficits de production et dire ce qu’il faudrait changer, avec des aliments et des probiotiques, pour atteindre un niveau de flore riche », précise Karine Clément. Et ainsi savoir quels patients sont les plus susceptibles de profiter d’une modification des habitudes alimentaires.
5 ans d'attente
Le modèle doit encore être affiné. Dans le tube digestif humain, des milliers de bactéries et micro-organismes évoluent ensemble. Une infime partie d’entre eux est bien connue, et de nombreuses interactions restent mystérieuses. Le mode de calcul a d’ailleurs été simplifié : quelques bactéries ont été placées en interaction avec de grandes catégories d’aliments (légumineuses, produits laitiers, viande blanche, etc). « Il faut encore apporter de la complexité, ajouter des interactions, rendre le modèle plus proche de la réalité », insiste le Pr Clément. Car il faut encore déterminer lesquelles des milliers de bactéries intestinales doivent être ciblées. Pour cette spécialiste de la nutrition, il faudra encore 4 à 5 ans de travail avant d’espérer utiliser ce modèle dans la pratique quotidienne.