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Première mondiale

Spermatozoïdes in vitro : encore un long chemin pour les chercheurs lyonnais

Par Stéphany Gardier

C'est un Graal en biologie de la reproduction : produire des spermatozoïdes in vitro. Une start-up de Lyon y serait enfin parvenue. La découverte suscite cependant des questions.

M.H.Perrard, CNRS - Kallistem
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La nouvelle a fait grand bruit parmi les spécialistes de la biologie de la reproduction et de la procréation médicalement assistée. Après des années de recherches acharnées menées par plusieurs équipes dans le monde, la production in vitro de spermatozoïdes humains serait possible. Et les chercheurs à l’origine de cette grande première sont français. Malheureusement, le brevet de leur procédé Artistem® n’étant pas encore déposé, ils ne peuvent donner que très peu d’informations sur leurs travaux. Ils organisaient une conférence de presse ce jeudi dans les locaux de leur start-up, Kallistem, pour livrer quelques précisions. Le but : lever des fonds pour permettre la poursuite de leur projet.

 

Quand un traitement rend stérile

En mai, la start-up lyonnaise avait fait part d’une avancée majeure : les chercheurs étaient parvenus à produire in vitro des spermatozoïdes matures, à partir de prélèvements testiculaires réalisés chez des patients rendus infertiles par des traitements médicaux. Une première qui, comme le soulignent les chercheurs, « ouvre des pistes thérapeutiques attendues depuis de nombreuses années par les cliniciens ».

« La PMA a largement progressé ces dernières années, mais les techniques telles que l’ICSI ne permettent de répondre qu’à certains types d’infertilité. Et pour les hommes qui ne produisent pas ou plus de spermatozoïdes, il ne reste que le recours à un donneur », souligne Ahmed Ziyyat, chercheur dans l’unité Génomique, Epigénétique et Physiopathologie de la Reproduction à l’Institut Cochin, et qui n’a pas pris part à ces travaux.
Les résultats obtenus par l’équipe de Kallistem, dirigée par Philippe Durand et Marie-Hélène Perrard-Durand, respectivement chercheurs à l’Inra et à l’Inserm, pourraient être particulièrement utiles pour préserver la fertilité des jeunes patients devant subir des traitements « gonadotoxiques ».

D'abord des tests chez le rat

Comment les chercheurs français ont-il réussi, là où tant d’autres avant eux ont échoué ? « Nous travaillons sur les processus de la spermatogénèse depuis une vingtaine d’années, et cette longue expérience nous a bien entendu servi, explique Marie-Hélène Perrard-Durand. Nous avons notamment un savoir-faire particulier dans la culture des tubes séminifères [dans lesquels sont produits les spermatozoïdes, NDLR] et nous avons réussi à optimiser des paramètres tels que la composition des milieux de culture. »
Pour l’heure, les chercheurs disent avoir produit des spermatozoïdes « morphologiquement normaux », mais le vrai enjeu est de savoir si ces gamètes sont fonctionnels, et surtout génétiquement exempts de tout défaut. Cette prochaine étape devrait être réalisée chez le rat, expliquent les chercheurs : Artistem® a en effet prouvé son efficacité dans plusieurs espèces.

 


Résultats non-publiés

La conférence de presse devait permettre d'obtenir des réponses aux questions restées en suspens lors de la première vague de communication de Kallistem, début mai. Mais même deux mois après le dépôt du brevet pour Artistem®, il s'avère toujours difficile d’en savoir plus sur les détails de la technique. Les chercheurs interviewés ce mercredi par Pourquoidocteur expliquent qu’ils ont soumis un article scientifique le jour même, et qu’ils ne peuvent en dire plus tant qu’il n’est pas publié… ce qui peut prendre plusieurs semaines, voire mois !
« Nous avons été très intéressés par la communication de Kallistem en mai sur ces premiers résultats, raconte Ahmed Ziyyat, mais aucun scientifique ne peut donner un avis sans avoir accès à un minimum de résultats chiffrés, et en sciences, seule la publication scientifique fait foi ».

Questionnée sur la pertinence d’organiser une nouvelle conférence de presse sans pouvoir fournir d’informations concrètes, Isabelle Cuoc, PDG de Kallistem, n’hésite pas à répondre avec franchise : « Nous sommes une start-up et nous avons certes un agenda de recherche, mais aussi un agenda financier. Il nous faut concilier les deux, mais nous sommes actuellement en période de levée de fonds et nos investisseurs avaient besoin que nous communiquions sur notre projet. » Une réponse qui soulève une nouvelle fois la question du financement de l’innovation et de la recherche. Comme beaucoup d’autres start-up de biotechnologies, Kallistem a certes noué des partenariats avec des institutions de recherche publique (Inserm, Université Lyon 1…), mais reste dépendante des financements privés.