En 50 ans, l'oncologie pédiatrique a été marquée par des progrès majeurs qui permettent aujourd'hui à la plupart des enfants touchés par un cancer d'être sauvés. Mais l'Europe enregistre encore 6000 décès par an, causés par un cancer pédiatrique.
Pour améliorer le taux de guérison, mais aussi la qualité des vie des patients, pendant et après la maladie, la Société Européenne d'Oncologie Pédiatrique (SIOPE) a élaboré, en partenariat avec des associations de parents et de malades, un plan stratégique en sept objectifs. Il a été lancé à l'occasion de l'ouverture du Congrès Européen de Cancérologie (ECC), qui s'est tenu à Vienne du 25 au 29 septembre. Pourquoidocteur y a rencontré Gilles Vassal, directeur de la recherche clinique à l'Institut Gustave Roussy (Villejuif) et président de la SIOPE.
Même ici, au sein d'un congrès de cancérologie, on a le sentiment que les cancers pédiatriques sont un sujet "difficile". Est-ce qu'il existe un tabou ?
Gilles Vassal - Je ne sais pas si le mot tabou est approprié mais il est difficile de concevoir que l’enfant ait un cancer. C'est encore souvent vu comme une maladie du sujet âgé qui a bu, qui a fumé ou qui s’est exposé au soleil. Il y a une méconnaissance du fait que, oui, les cancers peuvent survenir dans l’enfance, et même dès la naissance. C’est aussi pour cela qu’il est important que l’on fasse de l’information.
Pourquoi un plan spécifique pour les enfants et les adolescents est-il nécessaire aujourd’hui ?
Gilles Vassal -Les cancers pédiatriques, heureusement, ne sont pas fréquents, mais ce sont tout de même 35 000 nouveaux cas qui se déclarent chaque année en Europe. Nous avons fait des progrès considérables dans les traitements. Il y a 50 ans, un enfant sur deux atteint d’un cancer mourrait, aujourd’hui la survie moyenne à 5 ans atteint 80 %. Mais 6000 enfants meurent encore chaque année en Europe, le cancer reste la première cause de mortalité des enfants. Il faut agir ! Deux tiers des pays européens ont un plan cancer national, et parmi eux un sur deux seulement à un volet spécifiquement dédié aux enfants et aux adolescents. C'est clairement insuffisant.
Il est également essentiel de lutter contre les inégalités d'accès aux traitements standards. Dans certains pays d'Europe centrale, les taux de guérison sont 10 à 20 % inférieurs à la moyenne européenne. Il faut créer des centres de référence, où n'importe quel patient puisse se rendre pour recevoir les soins adaptés à sa pathologie.
- L'oncologie vit une révolution depuis quelques années avec le développement de traitements innovants tels que les thérapies ciblées et les immunothérapies. Les enfants en bénéficient-ils ?
Gilles Vassal - Aujourd'hui, les enfants sont traités avec les molécules développées pour les adultes et que les oncologues-pédiatres ont appris, grâce à de nombreux travaux de recherche clinique, à adapter. Mais les enfants ne sont pas des adultes en miniature, il ne suffit pas de faire une règle de trois pour adapter les doses ; cela demande donc beaucoup de temps.
Le problème aujourd'hui est qu'il existe un délai bien trop long avant que les enfants aient accès aux molécules innovantes. Si vous me demandez si les immunothérapies, qui donnent des résultats sans précédent chez l'adulte, fonctionnent chez l'enfant, et bien je ne pourrai pas vous répondre. Alors que certaines de ces molécules ont déjà reçu des autorisations d'utilisation chez l'adulte, les essais pédiatriques n'ont commencé que cette année.
- Le plan de la SIOPE concerne aussi les patients qui ont survécu à leur cancer. C'est un enjeu important ?
Gilles Vassal - Outre l’amélioration des taux de guérison, une autre nécessité est la diminution des effets secondaires des anti-cancéreux. Aujourd'hui des enfants sont guéris mais au prix de traitements lourds, intensifs et qui, quand ils sont guéris, risquent de leur donner des séquelles. Il y a les conséquences directes, au moment du traitement, comme des complications cardiaques dues aux chimiothérapies, mais il y a aussi les effets à long terme. Aujourd’hui, il y a environ 300 000 Européens qui sont des « survivants » d'un cancer pédiatrique, or deux tiers environ ont des problèmes de santé plus ou moins sévères liés à leur maladie passée. Il ne suffit donc pas de soigner les enfants, il faut aussi assurer une bonne qualité de vie aux adultes qu'ils deviendront.
Pour les cancers adultes, de nombreux facteurs de risque sont maintenant connus, ce qui a permis la mise en place d’actions de prévention. Qu’en est-il pour les cancers pédiatriques ?
Gilles Vassal - « Pourquoi mon enfant a-t-il un cancer ? » est une question cruciale, mais qui reste souvent sans réponse car dans la plupart des cas nous ne connaissons pas les causes de la maladie. Il n'y a donc actuellement pas de prévention possible chez l'enfant. Mais c’est un point qui a été très discuté avec les parents lors de l’élaboration du plan, et améliorer les connaissances sur ces cancers est un des sept objectifs. Pour cela nous comptons beaucoup sur le séquençage génétique de l’ADN de la tumeur, mais aussi du génome des patients. Cela nous permettra d’en apprendre plus sur les gènes qui sont altérés, et peut-être liés à la survenue d’un cancer.Depuis 2007, la législation européenne contraint les laboratoires pharmaceutiques à mener des études cliniques pédiatriques pour toute molécule développée pour une pathologie de l'adulte et qui correspond aussi à une maladie de l'enfant. Pour « compenser » les frais induits par ces essais supplémentaires, l'Europe accorde aux laboratoires 6 mois d'extension de la protection de leur médicament, avant que celui-ci puisse être génériqué. « Cette mesure a clairement changé la donne, commente Gilles Vassal. Certains laboratoires travaillent maintenant avec nous pour développer des essais pédiatriques. Mais, cette mesure ne va pas assez vite et pas assez loin ! ».
En effet, toutes les molécules développées pour des cancers exclusivement adultes, bénéficient d'une dérogation et ne font donc pas l'objet de recherches pédiatriques. Or, aujourd'hui, de nombreuses molécules - les immunothérapies notamment - développées pour des cancers de l'adulte (poumon, mélanome, ...) ont démontré une efficacité transversale : leurs cibles sont présentes dans différents types de cancers. Elles pourraient donc être d'un intérêt majeur en oncologie pédiatrique.
La SIOPE a travaillé main dans la main avec les associations de parents pour élaborer ce plan. L'accès aux molécules innovantes est un des objecifs sur lesquels les parents ont été le plus actifs. « Ils viennent de leur côté de lancer une campagne au niveau européen, Unite2Cure, car ils veulent que ça accélère, explique Gilles Vassal. C'est ça aujourd'hui le message : la vitesse, l'accélération. Alors que l'oncologie connaît des progrès sans précédent, ce n'est pas acceptable que les enfants et les ados attendent.»