La santé mentale serait-elle le talon d’Achille de la prise en charge après une chirurgie bariatrique ? Les comportements autodestructeurs sont plus fréquents dans les trois ans suivant l’intervention selon une étude parue dans le JAMA Surgery. S’ils n’aboutissent pas au décès, ils doivent sensibiliser à l’importance d’un suivi psychologique renforcé auprès de ces patients particulièrement fragiles.
Un entretien préopératoire systématique
Les troubles de santé mentale sont fréquents chez les personnes atteintes d’obésité morbides, donc logiquement chez celles qui subissent une chirurgie bariatrique. Troubles du comportement alimentaire (TCA) ou dépression peuvent altérer l’issue de l’intervention. C’est pour cela qu’un entretien avec un psychiatre est réalisé au préalable, conformément aux recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS).
« Le bilan comprend la visite chez 5 spécialistes, en plus du chirurgien et de l'anesthésiste. La visite chez le psychiatre peut se faire chez un spécialiste qui suit habituellement le patient, ce qui est plus simple pour nous : on peut le contacter plus facilement car il connaît le patient, explique le Dr Sylvie Gueroult, spécialiste de la chirurgie bariatrique à la clinique Geoffroy-Saint-Hilaire (Paris), contactée par Pourquoidocteur. Dans l'autre cas, ce sont des patients qui n'ont jamais vu de psychologue. Cela correspond alors à un voire deux entretiens préopératoires pour évaluer le patient. Evidemment, le psychiatre nous contacte s'il a le moindre doute. »
Tout trouble psychiatrique déséquilibré – c’est-à-dire qui n’a pas pu être stabilisé par le suivi ou par des médicaments – est une contre-indication à la chirurgie. En effet, « il faut une adhésion du patient, une compliance au traitement et surtout une compliance au suivi », développe Sylvie Gueroult.
Un suivi à 3 mois
La littérature l’a démontré, la chirurgie bariatrique améliore le bien-être des patients. C’est pourquoi un suivi systématique n’est pas conseillé par la HAS. Il n’est indiqué qu’aux patients qui ont présenté des TCA ou une pathologie psychiatrique avant l’opération. Cependant, et comme le rappelle Sylvie Gueroult, les chirurgiens peuvent en prendre l’initiative.
« Lors de la consultation préopératoire avec le psychiatre ou le psychologue, il est demandé au patient de retourner le voir en suivi post-opératoire, idéalement vers le 3e mois. C'est là que le changement majeur du corps commence à survenir et l'interprétation psychique de la morphologie n'est pas adaptée. Nous, chirurgiens, on le recommande à tous les patients, souligne-t-elle. La deuxième chose, c'est que lors de l'entretien psychiatrique, le praticien demande au patient de revenir le voir, et il va éventuellement nous mettre un mot dans son attestation, comme quoi le suivi est fortement recommandé. De toute façon, on aborde le côté psychologique, notamment l'interprétation de la personne par rapport à son image corporelle. »
Des profils variables
Mais le risque de se faire du mal augmente après une chirurgie bariatrique, à en croire l’étude canadienne. Pour parvenir à cette conclusion, l’équipe du Dr Junaid Bhatti a suivi 8 815 adultes 3 ans avant et 3 ans après leur intervention. Au total, 158 cas de comportement autodestructeur, concernant 111 patients, ont été signalés. Un faible nombre de patient est concerné par ce risque, y compris avant l’intervention. Le risque augmente d’environ 50 % après la chirurgie, malgré une sélection rigoureuse.
« Les patients sont préparés aux changements post-opératoires qui seront nécessaires sur le plan alimentaire, précise Junaid Bhatti, contactée par Pourquoidocteur. Il est difficile de prévoir lesquels seront à risque de tentative de suicide. Ce que ces résultats suggèrent, c’est qu’un système de soutien mental devrait être disponible après l’intervention, de manière à ce que les patients qui traversent des crises puissent être adressés au professionnel adapté. »
Avant la chirurgie, ce sont plutôt des femmes de plus de 35 ans et vivant dans des zones urbaines qui ont tendance à se faire du mal. Après la chirurgie, le profil évolue vers des personnes de plus de 35 ans, de faible revenu ou vivant en zone rurale. Ce sont aussi les populations qui ont le moins accès aux soins adéquats. A noter que les empoisonnements médicamenteux sont de loin les méthodes les plus courantes (73 %), une caractéristique canadienne, comme l’explique le Dr Bhatti.
Un suivi à long terme
La piste accidentelle est évoquée par la littérature scientifique, comme un métabolisme différent de l’alcool. La chirurgie pourrait aussi agir sur les hormones qui agissent notamment sur la dépression. Autant de pistes à creuser, puisque les incidents sont les plus nombreux après deux ans de suivi, au moment où l’attention se relâche. « Je ne dirais pas qu’il s’agit d’une faiblesse du suivi, relativise Junaid Bhatti. Les conséquences à long terme de la chirurgie bariatrique sont étudiées de manière globale. Cette étude y contribue en montrant qu’une faible part des patients peut connaître cet effet secondaire, et que la fréquence peut augmenter après la première année. »
Ces événements peuvent être évités de deux manières : en prévenant les patients qu’ils peuvent survenir, et donc qu’il est possible de s’adresser à un psychologue, et en mettant en place un suivi plus encadré. C’est la conclusion que tirent Amir Ghaferi et Carol Lindsay-Whestphal de cette étude : « Cette étude fournit des données qui soutiennent l’idée d’un suivi à long terme dans la chirurgie bariatrique, particulièrement pour les patients ayant connu un trouble dépressif majeur ou un comportement autodestructeur », écrivent-ils dans un commentaire associé à l’étude. En effet, le taux de tentatives de suicide est quatre fois plus élevé chez les personnes qui se soumettent à cette intervention. Cette population, particulièrement vulnérable, doit donc être bien encadrée. Dans le service de Sylvie Gueroult, où le suivi psychologique est systématique, aucun suicide n’est à déplorer.
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