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Avant trois ans

La garde alternée divise toujours les spécialistes

Par Raphaëlle Maruchitch

Dans plus de 20% des divorces par consentement, la résidence alternée est choisie. Si ce mode de garde n'est pas remis en cause, les parents et les professionnels s'interrogent sur le bon âge.

STORM/P.P.L.IMAGE/SIPA

Dix ans après le vote de la loi sur la résidence alternée, les spécialistes continuent de débattre sur les bénéfices-risques pour l'enfant et les parents confrontés à la situation s'interrogent toujours.La branche francophone de l’Association internationale pour la santé mentale du bébé (Waimh, pour World association for infant mental health) doit apporter cette semaine une nouvelle contribution à ce débat. Réunissant plus de 350 cliniciens, l'association va publier un texte sur la résidence alternée chez les enfants de moins de 3 ans. « Il a pour vocation de donner une opinion sur ce mode de garde, sans pour autant que nous détenions une idée de vérité », explique Sylvain Missonnier, co-président de la branche francophone de la Waimh.

La résidence alternée est choisie dans 21,5% des divorces par consentement et un peu moins de 15% de l’ensemble des divorces, selon une étude de juin 2009 du Ministère de la Justice. « Depuis que les pères s’occupent des nourrissons autant que les mères, la question des modes de garde se pose précocement », analyse le Dr Stéphane Clerget, pédopsychiatre. En France, sur les forums, le sujet fait couler beaucoup d’encre. Les parents se posent des questions sur le mode de garde à plébisciter, selon la situation dans laquelle ils sont : entente ou non avec l’ex-conjoint, éloignement des résidences respectives des parents, différences de rythme et de fonctionnement entre le père et la mère… Les avis sont fréquemment très tranchés, spécifiquement lorsqu’il s’agit d’enfants de moins de 3 ans.
Car entre la naissance et 3 ans, se développe un phénomène particulier chez l’enfant : la mise en place du processus d’attachement. Ce besoin social primaire amène l’enfant à rechercher et maintenir la proximité d’une personne spécifique.

Ecoutez Gérard Poussin, professeur émérite de psychologie de l’Université Pierre Mendès France de Grenoble, co-auteur du livre Pour ou contre la garde alternée ? : « L’attachement se produit entre 0 et 3 ans, et l’enfant a besoin de construire ce lien.»

 


Si l’enfant est dans cette tranche d’âge, il peut alors rencontrer des difficultés à construire son lien d’attachement dans la situation d’une garde alternée, s’il est séparé trop longtemps de l’un ou l’autre parent. Dans l’exemple d’une répartition trop brutale, il peut résulter « que l’enfant souffre d’insécurité, de crises d’angoisse. Cela peut générer plus tard des troubles anxieux, des troubles de la personnalité, de l’hyperactivité avec déficit de l’attention», explique le Dr Clerget. Pour lui, une alternance d’une semaine chez un parent, une semaine chez l’autre, est bien trop longue. En général, il préconise une séparation d’une durée d’une journée par année d’âge de l’enfant : un petit de moins de 3 ans ne devrait ainsi pas être séparé de l’un des parents plus de 3 jours.
« Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas qu’il y ait alternance », poursuit Gérard Poussin. « Nous voyons des situations où l’enfant grandit bien en voyant l’alternance des deux parents, notamment des parents qui s’entendent bien », confirme le Dr Clerget. L’enfant doit profiter de son père et de sa mère. Il est aujourd’hui reconnu que le petit puisse avoir deux figures d’attachement principales : quand les deux parents sont également investis, l’enfant peut être attaché autant à l’un qu’à l’autre.

Des faits qui ne se reflèteraient pas encore complètement dans les décisions de justice. « Il y a l’idée qu’un nouveau-né doit aller avec sa maman. Même les pères partent de cette idée-là, et renoncent quelque part à faire valoir leurs droits qui sont aussi ceux de l’enfant », complète le Dr Stéphane Clerget. Sans oublier que les situations peuvent naturellement changer.

Ecoutez le Dr Stéphane Clerget, pédopsychiatre et praticien hospitalier, exerçant à Paris : « Le vrai souci des décisions de garde est qu’elles ne sont pas évolutives à mesure où l’enfant grandit. »

 


« La difficulté reste de faire en sorte que malgré la séparation, le lien d’attachement ne soit pas trop compliqué à établir mais puisse concerner les deux parents », résume Gérard Poussin. Là encore, le mode de garde est à adapter au cas par cas. Par exemple, la résidence alternée peut être « source d’anxiété, de confusion et d’insécurité pour les plus jeunes ayant une faible capacité d’adaptation au changement », d’après des travaux menés en Amérique du Nord. Travaux qui relèvent également que 75% des enfants sur lesquels ont été menées les études « perçoivent la dualité spatiale positivement comme amusante, intéressante et représentant un moyen de maintenir une relation individualisée avec chaque parent ».Quel que soit le mode de garde, mais encore plus pour la garde alternée, la qualité des relations entre les ex-conjoints semble clef. « D’autres formules, plus rares, font aussi leurs preuves, comme les parents qui se relaient sur un même domicile », rapporte le Dr Clerget. Preuve que si la résidence alternée n’a pas encore trouvé de formule idéale - si tant est qu’il en existe une – elle continue d’évoluer.