Les images du DRH d’Air France, chemise arrachée, fuyant les employés ont fait le tour du monde. Scène navrante mais compréhensible pour les uns, injustifiable et inacceptable pour les autres, elle est devenue en quelques jours le symbole d’un dialogue social rompu. Et malgré eux, les salariés d’Air France, sont devenus les porte-parole du désarroi et de la colère des travailleurs.
Car, ce qui se passe actuellement à Air France est loin d’être propre à cette entreprise. La souffrance causée, ou aggravée, par le travail est présente dans de nombreuses sociétés et s’étale au grand jour sous différentes formes : séquestration de cadres dirigeants, sabotage, menace de faire exploser l’usine… « Tout cela fait malheureusement partie de la nécessité des salariés dans certains milieux professionnels de s’affirmer et de montrer à quel point ils n’en peuvent plus, explique Marie Pezé, psychanalyste et fondatrice des premières consultations "souffrance et travail". Surtout, quand en interne, ils subissent une organisation du travail pathogène, des plans sociaux successifs et une réduction d’effectifs systématique sans jamais être écoutés ou entendus par la hiérarchie ».
Cris de souffrance
Ces actions extrêmes et radicales sont donc des appels à l’aide. « Autant de signaux d’alarme qu’il serait temps d’entendre avant que ce pays bascule dans des mécanismes de violences plus systémiques et qui déborderont l’entreprise », prévient l’ancienne experte auprès de la cour d’appel de Versailles.
Traduisant un mal profond de notre société, la souffrance psychique au travail, qui touche près de 500 000 personnes, est nourrie par de nombreuses peurs. « Une qui évidemment importante, c’est l’incertitude sur son emploi, le risque de le perdre et la crainte du chômage », relève Patrick Légeron, psychiatre et fondateur du cabinet “Stimulus”, sur le thème de la souffrance au travail (1).
Manque de reconnaissance
Par ailleurs, le sentiment d’avoir fait beaucoup d’effort et de ne rien recevoir en retour est omniprésent chez ces salariés qui craquent. Ce manque de reconnaissance, le reniement de la dimension humaine lors des restructurations et plans sociaux concourent à cette escalade de violence. « D’ailleurs quand on étudie des phénomènes comme le burn-out – épuisement professionnel – on s’aperçoit qu’il résulte de la rencontre d’efforts considérables que fait l’employé et de la vanité de ces derniers», souligne Patrick Légeron.
Face à une hiérarchie et des pouvoirs publics sourds à cette exaspération, comment résoudre le conflit social ? La réponse des experts est loin d’être réjouissante. Chacun pointe un immobilisme et la difficulté de rassembler tous les acteurs autour d’une table pour discuter. Diminuer les souffrances liées au travail, et par là même leurs manifestations violentes, ne peut passer que par la restauration du dialogue social.
(1) Le stress au travail, Editions Odile Jacob.