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Un tiers de la population se méfie

Vaccination : pourquoi les Français doutent

Par Audrey Vaugrente

GILE MICHEL/SIPA

ENQUÊTE – L’épidémie arrive, mais 70 % des Français ne comptent pas se vacciner contre la grippe. Le discours anti-vaccinal progresse dans la population, alimenté par des crises comme celle de la grippe A H1N1 en 2009. Pourquoidocteur a enquêté sur les raisons de cette crise de confiance qui dépasse le cercle des ligues anti-vaccinales et qui sème le trouble chez les médecins eux-mêmes.

Une sclérose en plaques imputée à la vaccination contre le papillomavirus. Lorsque Marie-Océane Bourguignon porte plainte en novembre 2013 contre le laboratoire Sanofi Pasteur et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM),  peu imaginent alors la controverse qu’elle va soulever dans le pays. Deux ans plus tard, le couple Marc et Samia Larère attire l’attention des médias. Les jeunes parents auxerrois refusent de vacciner leurs enfants contre diphtérie, polio et tétanos. Et portent l’affaire devant le Conseil Constitutionnel.

Deux cas très médiatiques qui illustrent une crise profonde de la vaccination en France. En témoigne le taux de jeunes filles immunisées (18 %) contre le papillomavirus. Ce vaccin (Gardasil/Cervarix) est le seul qui protège contre des lésions précancéreuses. L’Hexagone s'interroge quand le Danemark a un taux d'adhésion de 80 %.

Preuve du malaise général, la campagne de la vaccination antigrippale vient d'être lancée mais les résultats des années précédentes laissent perplexes les  experts : moins d’une personne à risque sur deux était protégée en 2014. Or, si la couverture avait été suffisante, 500 morts auraient pu être évités. L’opposition vaccinale, ce mouvement qui était limité à une frange radicale de la population, s’est transformée en une hésitation générale. 
La France doute de ses vaccins.

Alors que la députée Sandrine Hurel rédige les dernières lignes de son rapport sur la politique vaccinale, Pourquoidocteur revient sur les grandes étapes de cette vague anti-vaccinale. Qui porte ce discours ? Comment a-t-il réussi à se propager ?

« Pas de vaccination sans réflexion »

L’acte vaccinal n’a jamais fait l’unanimité. Dès ses débuts, la vaccination fait débat et soulève des oppositions. « Au XIXe siècle, on la trouvait beaucoup plus dans les milieux ouvriers, il y avait aussi des arguments religieux », souligne Patrick Peretti-Watel, chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).

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Patrick Peretti-Watel, sociologue à l’Inserm : « Aujourd’hui on parle beaucoup de réémergence mais je pense qu’on se trompe, d’abord parce que ce n’est pas la même opposition. »

 

Comment faire la part entre l’opposition historique – représentée par ces ligues – et le mouvement récent – les citoyens ? La littérature scientifique est divisée sur le sujet. « Il y a les experts de santé publique qui y voient la réémergence des anciens mouvements anti-vaccination », explique Patrick Peretti-Watel. L'hésitation est alors une forme d'irrationnalité, une réaction à la désinformation qu’on trouve sur internet. On retrouve alors le profil des réticents du XIXe siècle : des personnes peu éduquées, à faible revenu ou isolées socialement. Mais Patrick Peretti-Watel avance une théorie opposée, plus en lien avec l'actualité.

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Patrick Peretti-Watel : « Dans une société où on demande de plus en plus aux gens de prendre leur santé en main, c’est logique qu’ils doutent de la vaccination. »

 

Un discours qui se démocratise

Les associations et les ligues l'ont bien compris en ajustant leur discours au climat ambiant. Fondée en 1954, la Ligue nationale contre les vaccinations obligatoires s'est rebaptisée en Ligue nationale pour la liberté des vaccinations (LNPLV).
Simple changement de façade ? A en croire son président, Jean-Pierre Auffret, la posture a changé en profondeur. « Notre ancienne formule, c’est : "Nous ne sommes pas systématiquement contre les vaccinations mais contre les vaccinations systématiques". Nous avons adopté une formulation plus concise dans la période récente : "Pas de vaccination sans réflexion" », résume-t-il, se défendant de toute attitude « sectaire ».
Les ligues parlent différemment, jouent la pédagogie. Et leur slogan tape dans le mille :  2 à 3 Français sur 10 ne font pas confiance aux vaccins, selon des enquêtes récentes.

Sonia Delomel fait partie de cette majorité de sceptiques. A 24 ans, la jeune femme de Châtillon (Hauts-de-Seine) a longuement hésité avant de faire vacciner sa fille de deux mois et demi. « Ma mère, qui est infirmière, m’a parlé des adjuvants dans les vaccins. Elle m’a recommandé de ne pas administrer à ma fille des vaccins avec des sels d’aluminium, se souvient-elle. Mais au final, on a la prescription du pédiatre, le pharmacien nous donne le vaccin et on n’a pas vraiment le choix. » Pour Sonia, l’avis du pédiatre a primé, mais le praticien n’a pas forcément répondu à ses interrogations. Mais qu'adviendra-t-il à la prochaine vaccination ? Sonia Delomel n’a pas cherché à contacter des ligues pour s’informer, mais d’autres le font.

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Sonia Delomel, éducatrice de jeunes enfants : « Ma pédiatre m’a recommandé de vacciner ma fille. Après on se demande ce qu’il y a dans ces vaccins. Pour me renseigner, je fais comme tout le monde, je regarde sur Internet, j’en parle avec des amis… »

  

H1N1 : les racines de la crise

Défaut d'information des professionnels, manque de transparence des politiques, c’est en 2009 que se produit la fracture. L’année de la pandémie de grippe A (H1N1) où tout a basculé. Opposants et partisans de la vaccination s’accordent à le dire. « On peut remercier largement Mme Roselyne Bachelot (alors ministre de la Santé, ndlr) de son action qui nous a apporté un flot d’adhérents et qui a soulevé un certain nombre de débats, notamment sur les adjuvants », sourit Jean-Pierre Auffret.

De fait, plusieurs erreurs ont été commises. Elles ont totalement décrédibilisé le discours politique en matière de vaccination. L’impair majeur aura été de court-circuiter totalement les médecins et les pharmaciens. A l'époque, les invitations sont envoyées directement aux personnes à risque. Les campagnes sont organisées en dehors des établissements de santé. Les pharmaciens ne voient pas l'ombre d'un vaccin. « Une folie du cabinet de Mme Bachelot qui a a fait en sorte que le plus grand réseau de santé publique de ce pays ait été mis à l’écart, observe Serge Blisko, médecin et président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Si on parle d’un flop, c’est bien de celui-ci, pas du fait que la pandémie a été moins grave que prévu. » La crise de confiance envers la parole du monde politique a été immédiate. Ses conséquences s'observent toujours.

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Patrick Peretti-Watel : « L’opposition suscitée par le vaccin contre la grippe H1N1 a pu nourrir l’opposition à la vaccination en général. On verra dans quelques années dans quelle mesure ça a pu nourrir des délais dans les vaccinations des enfants. »

 

Les médecins mal à l'aise

Mais une dizaine d'années plus tôt, la situation s'était déjà dégradée. En 1994, Philippe Douste-Blazy, autre ministre de la Santé, lance une campagne de vaccination contre l'hépatite B, suivant les recommandations de l'Organisation Mondiale de la Santé. Alors qu'elle ne devait concerner que les nourrissons et les 10-11 ans, le ministre impose un rattrapage aux adolescents et aux jeunes adultes. Le succès tourne court : deux ans plus tard, des cas de sclérose en plaques sont attribués au vaccin. Des associations se mobilisent, l'Agence du médicament lance des études pour déterminer l'existence d'un lien. Malgré les condamnations successives, de l'Etat en 2006, du laboratoire GSK en 2009, aucune association n'a pu être démontrée. Mais le plus gros du travail de sape était déjà fait. La santé publique aurait été sacrifiée sur l'autel des intérêts industriels.

A cette défiance du grand public, s'ajoute celle d'une frange du corps médical. Le très médiatique Pr Henri Joyeux n'est en fait que le porte-voix d'une base de praticiens qui conseillent les patients. Et qui s'interrogent. D'après une récente étude de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), 16 % des médecins émettent des réserves concernant les risques et l'efficacité de certains vaccins. Ils sont même 8 % à se dire peu confiants. Là encore, la crise prend ses racines dans une défiance vis-à-vis des autorités de santé. Un malaise que Pourquoidocteur a tenté de comprendre dans un deuxième temps.


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Les dérives sur la toile

Où trouver un pédiatre anti-vaccination ? Comment trouver un antidote à un vaccin auquel on n’a pas pu échapper ? Les mouvances anti-vaccinales les plus radicales se trouvent sur la toile. S’inquiétant de ce phénomène, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) s’est saisie du dossier.  « Evidemment, le refus de vaccination n’est pas à proprement parler une dérive sectaire », tempère d’emblée le Dr Serge Blisko, son président. Mais le développement des théories anti-vaccinales sur Internet est particulièrement problématique, puisqu'aucune hiérarchie n'existe entre les sources d'information. « Internet est un vaste forum où même les idées les plus étranges sont exposées », déplore Serge Blisko. De fait, à côté des recommandations du ministère de la Santé sur la vaccination antigrippale, il est possible de se renseigner sur la méthode de l’argile… qui consiste à se « purifier » après une vaccination !