Sur le tarmac, le Boeing C135 ronronne sourdement. L’équipe médicale, en treillis militaire, embarque dans l’avion qui sert habituellement à ravitailler la flotte aérienne de l’armée française. Direction l’Afrique, où un engin explosif improvisé (IED) vient de frapper des soldats qu’il faut rapatrier d’urgence en France.
Jeu de Lego
Pour les besoins de la mission, l’avion a été équipé du système Morphée*, un kit médical démontable qui permet de transformer en deux heures l’aéronef en un service de réanimation volant. Les traditionnelles machines (oscilloscope, onduleur, ventilateur…) ont été fixées aux parois et clipsées aux embouts, à la manière d’un jeu de Lego. Ce dispositif, à la pointe de la technologie sanitaire, permet de prendre en charge des blessés lourds sous anesthésie générale et ventilation artificielle, et des blessés plus légers, sous perfusion. Douze personnes peuvent ainsi être évacuées.
Pendant trois heures, l’avion qui décolle de la base aérienne 125 d’Istres (Bouches-du-Rhône) ce mardi d’octobre n’effectuera en réalité qu’un tour de l’Hexagone. Il s’agit en effet d’un exercice militaire qui simule une mission Morphée d’évacuation sanitaire de blessés de guerre. Une trentaine de militaires du Service de Santé des Armées participent également à l’exercice pour se former au module.
Des conditions extrêmes
Dans le Boeing aménagé flotte une lourde odeur de kérosène. En l’absence d’hublot, l’intérieur est plongé dans la pénombre ; seules les civières bénéficient d'un éclairage blanchâtre. « C’est rustique ! s’exclame le Capitaine Sophie, convoyeuse de l’air. Nous sommes dans une vieille machine, conçue dans les années 1950. Bon, tant qu’il n’y a pas de fumée, il ne faut pas s’inquiéter ». Nul n’oublie pourtant les risques d’explosion, alors que l’avion transporte 100 000 litres d’oxygène gazeux et liquide.
Des conditions extrêmes auxquelles l’équipe médicale doit apprendre à faire face. « Cet été, on a atteint les 48 degrés dans l’avion, se souvient le médecin chef Laurent, anesthésiste-réanimateur. En vol, quand ça déclenche, il y a énormément de bruit – 75 à 90 décibels dans tout l’appareil… Ca rend fou ! On n’entend pas les alarmes ni les malades - d'où le système de voyants lumineux ». Pour communiquer, l'équipage porte des casques PNR, et des boules Qies pour se protéger du bruit ambiant.
L'altitude menace les patients
L’autre difficulté concerne bien sûr les patients. Seuls ceux dont l’état a été stabilisé dans un hôpital du théâtre de conflit peuvent embarquer à bord du ravitailleur médicalisé. Mais l’altitude menace à chaque instant d’aggraver leur diagnostic. « L’oxygène se fait plus rare et les patients qui souffrent de pathologies respiratoires risquent de décompenser, précise le médecin chef Boris, généraliste aéronautique. Il y a aussi un problème lié aux pathologies des cavités, notamment avec le pneumothorax (présence d’air entre le poumon et la cavité thoracique) qui peut se dilater en altitude et devenir compressif ».
Plongée au coeur du service médical de réanimation volant de l'armée française bit.ly/1KNlALO
Posté par Pourquoidocteur sur samedi 31 octobre 2015
L’exercice qui se déroule a précisément vocation à simuler, à l'aide de mannequins, des situations au cours desquelles l’état de santé des patients s’aggraverait. En vol, plusieurs scenarii sont mis en scène – une sonde bouchée par du mucus qu’il faut remplacer, une panne d’oxygène et d’électricité à compenser, une perfusion de morphine à brancher … Des gestes parfois simples, qui peuvent s’avérer fort complexes dans cet environnement hostile.
5 missions au compteur de Morphée
En conditions réelles, le système Morphée a servi à cinq reprises – quatre fois en Afghanistan, une au Kosovo. La dernière mission remonte à janvier 2012, lorsqu’un soldat afghan a ouvert le feu sur des militaires français. Bilan : cinq morts, douze blessés dont certains grièvement.
« C’était une mission très intense, se souvient l’infirmier en soins généraux Nicolas. De l’autre côté de l’avion, vers les modules de soins intensifs, les patients étaient sous anesthésie générale. Par contre, ceux que je surveillais étaient tous conscients. On pouvait déceler les débuts du stress post-traumatique qui s’installait ».
Craintes sur l'avenir de Morphée
Malgré l’utilité de ce dispositif, des inquiétudes pèsent sur son avenir. Alors que l’armée de l’air renouvelle ses ravitailleurs au profit des Airbus A400M et des A330 MRTT, lesquels arriveront dès 2019, une question se pose : le module Morphée sera-t-il adapté au nouvel avion ?
Une interrogation d’autant plus délicate que le contexte budgétaire impose des restrictions, a fortiori dans les armées. Morphée coûte cher et il sert peu – ce dont on peut par ailleurs se réjouir. Le système est bel et bien conçu pour le C135 ; il nécessitera quelques ajustements pour l’Airbus. L’Etat français payera-t-il pour adapter le dispositif ? L’abandonnera-t-il ? Une crainte infondée, selon le Service de Santé de Armées, qui estime improbable l’hypothèse d’un renoncement.
En tout cas, si l’Etat accepte de mettre la main au porte-feuille, les conditions de travail de l’équipe médicale militaire devraient radicalement s’améliorer. Elles se rapprocheront de celles des Allemands, qui disposent d’un Airbus médicalisé en permanence, dont le confort a de quoi faire rougir d’envie les militaires français. « Le fonctionnement est le même, mais l’environnement est plus agréable, témoigne un anesthésiste militaire allemand, venu se former sur Morphée. C’est un peu comme Microsoft et Apple… Les deux marchent, mais l’un est plus chic que l’autre ! »
* MOdule de Réanimation pour Patient à Haute Elongation d’Evacuation