Depuis des semaines, Matt Damon est seul sur Mars (1). Abandonné par ses coéquipiers sur la planète rouge, il n’a aucun moyen de retourner sur Terre. Il va devoir faire preuve d’ingéniosité pour cultiver sa propre nourriture et trouver de l’eau sur une des planètes les plus hostiles du système solaire. Heureusement, ce qui arrive à ce pauvre astronaute américain n’est qu’une fiction.
Néanmoins, la conquête de Mars est un rêve qui devrait bientôt devenir une réalité. En tout cas, la Nasa et l’Agence spatiale européenne (ESA) y travaillent ardemment. Le projet le plus attendu est certainement le lancement de la fusée Orion. Ce vaisseau est actuellement en mesure d’embarquer 4 spationautes. L’ESA, en collaboration avec la société Airbus, réfléchit déjà à un module habitable plus grand. Son deuxième vol d’essai, sans voyageur, devrait être réalisé fin 2018.
L'enthousiasme et le rêve mis à part, plusieurs questions demeurent. Sur Mars, les astronautes seront obligés d’y rester 30 jours et les conditions seront bien plus difficiles et dangereuses que celles retrouvées à la station spatiale internationale ISS. Les astronautes, aussi aguerris soient-ils, seront-ils en mesure de supporter le voyage de 6 à 9 mois jusqu’à Mars et pourront-ils s’acclimater ? Quelles seront les conséquences physiologiques d’un tel voyage ?
Somnifères et antidouleurs
Les missions de 6 mois à bord de la station internationale montrent déjà que l’apesanteur, le confinement et l’absence de cycle jour/nuit affectent la santé des astronautes. Ils consomment d’ailleurs des médicaments pour prévenir et traiter les troubles associés à cet environnement inhabituel. Ainsi, face aux questions posées par la conquête de Mars, des chercheurs du Centre de médecine spatiale de la faculté Baylor (Houston, États-Unis) se sont intéressés à l’usage de médicaments des astronautes partis en mission plus de 30 jours.
Les dossiers médicaux de 24 astronautes partis en mission entre 2002 et 2012 ont donc été examinés. Il apparaît que les somnifères et les antidouleurs sont les médicaments les plus consommés par les spationautes. Des médicaments emportés avec eux dans une trousse à pharmacie bien fournie. « A bord de la station internationale, les astronautes ont à leur disposition 126 médicaments couvrant pratiquement toutes les spécialités, indique à Pourquoidocteur le Dr Bernard Comet, médecin des astronautes de 1989 à 2001. Elle est accompagnée d’un kit qui leur explique dans quel cadre il faut les utiliser et comment. »
Car les maux dont souffrent les astronautes sont bien connus des spécialistes de médecine spatiale, restés à Terre (voir encadré). « A bord de la station, leur sommeil est morcelé. D’une part, à cause de la ventilation qui tourne en permanence et qui fait un bruit incessant. Ils ont beau mettre des boules quies, ils ont du mal à s’endormir. On a même cartographié la station spatiale internationale pour trouver les endroits les moins bruyants où ils pourraient aller dormir, raconte le médecin de l'Institut de médecine et de physiologie spatiale (Medes). D’autre part, ils dorment mal parce qu’ils souffrent du dos. Ces douleurs sont provoquées par l’apesanteur. Une des astronautes que je suivais avait trouvé une méthode : elle s’attachait en chien de fusil. Il n’y a que comme cela qu’elle arrivait à dormir ».
Dans l'espace, les astronautes sont leur propre médecin
Lors d’une mission dans l’espace, les astronautes sont rarement accompagnés d’un professionnel de santé. « Alors, dans tout équipage, deux astronautes sont formés à jouer les médecins, raconte à Pourquoidocteur l’astronaute Jean-François Clervoy. Ils apprennent les gestes d’urgence comme le massage cardiaque. Ils savent faire une trachéotomie, des points de suture ou poser une sonde urinaire. »
Cette dernière est d’ailleurs indispensable à une station spatiale, car le médicament donné contre « le mal de l’espace » peut entraîner des difficultés à uriner. « Le mal de l’espace dure environ 3 jours et s’apparente au mal de mer. Les astronautes en ont tellement peur qu’ils prennent tous un traitement. Lorsqu’on leur prescrit, on les informe que cet effet secondaire peut survenir, et parfois, ils posent la sonde eux-mêmes », explique le Dr Bernard Comet.
En outre, pour s’assurer qu’aucun effet indésirable grave ne survienne et connaître les réactions des astronautes aux médicaments emportés, ils les testent à très petites doses pendant un an et demi. « On teste les 12 médicaments les plus pris par les astronautes comme les somnifères, les médicaments contre les céphalées ou encore le mal de dos ».
Préparer au mieux le voyage sur Mars
Au réveil, les astronautes sont donc nombreux à avaler des antalgiques pour atténuer leurs douleurs de dos ou d’articulations. Ils se plaignent également de maux de tête. Les médecins supposent que les troubles du sommeil et les céphalées sont dus au gaz carbonique présent en plus grande quantité dans la station que sur Terre.
« Nous espérons que cette étude aidera la NASA à se préparer au mieux pour répondre aux besoins médicaux des astronautes partis pour une longue mission vers Mars, explique Virginia Wotring, l’un des chercheurs impliqués dans l’étude américaine. Connaître à l’avance quel médicament emmené est essentiel avant de démarrer une mission qui pourrait durer plus de 3 ans ».
Cependant, la conquête de Mars pose une autre question. A l’heure actuelle, à la station internationale, médecin et astronautes organisent un rendez-vous hebdomadaire pour évaluer leur état de santé. Un dispositif de télémédecine qui ne pourra pas être mis en place sur Mars. « Il faudra 20 minutes pour qu’un message soit envoyé de Mars à la Terre, et il faudra encore 20 minutes pour y répondre », explique le Dr Bernard Comet. En situation d’urgence, la Terre sera donc impuissante et les évacuations d'urgence impossibles. « Les missions sur Mars compteront forcément un médecin », conclut-il. De quoi susciter des vocations.
(1) Seul sur Mars, film de Ridley Scott. Sorti au cinéma le 21 octobre 2015