ENQUÊTE - Pour répondre aux exigences des consommateurs et dynamiser la demande, les trafiquants ont adopté des techniques commerciales dignes d'entreprises professionnelles. Objectif : créer et distribuer des produits plus attractifs, à l’apparence plus « clean ».
« Je suis de retour avec du new, de la bombe. Champagne MacDo. Quand tu veux ». Le texto s’affiche sur l’écran d’iPhone de Julien. Numéro inconnu au répertoire. La signature, Oscar (1), n’en dit pas plus à ce jeune Parisien. « Je ne sais pas comment il a eu mon 06, mais bon, il tape à la bonne porte… », sourit-il.
Des méthodes de vente innovantes
Julien, 25 ans, n’est pas un adepte des alliages culinaires insolites. Le SMS plus ou moins crypté qu’il vient de recevoir lui a été adressé par un dealer, qui lui fait part de son nouvel arrivage de cocaïne (Champagne) et de MDMA (MacDo). Il le contactera, « pour comparer le rapport qualité/prix aux autres offres sur Paris », précise-t-il. « J’en ai un qui fait des promo la semaine. Le deuxième gramme de C vaut 50€ le mercredi, contre 80€ le vendredi ! »
C’est un fait : le business des drogues obéit aux mêmes règles que tout autre commerce. A l’image des entreprises qui cherchent à prospérer, il s’agit pour les trafiquants de mieux cerner les exigences de la demande et les meilleurs moyens d’y répondre – le tout dans un contexte concurrentiel parfois rude.
Ainsi, dans les agglomérations urbaines où l’offre est riche, les dealers doivent parfois rivaliser d’originalité pour accroître leur visibilité. A Marseille, les cartes de fidélité pour achat de cannabis ont fait le buzz. Ca et là, les usagers de drogues évoquent les cadeaux offerts lors des transactions – briquets, feuilles à rouler, échantillons de marchandise… Si la qualité du produit représente aux yeux des consommateurs un attrait non négligeable, elle ne constitue pas le seul argument de vente, loin s’en faut.
« Je pense que beaucoup de clients m’appellent même si ma cocaïne n’est pas excellente, parce qu’ils savent que souvent, ils auront un gramme gratuit, confirme Bastien, fournisseur en Ile-de-France. Il y en a beaucoup qui préfèrent la quantité à la qualité. Nous, on s’adapte ».
Clients pauvres, nouvelles doses
A l’image du reste de la société, les usagers de drogues ont été frappés par la crise de 2008, toutes classes sociales confondues. Pour répondre à la paupérisation progressive de la clientèle, les vendeurs ont du revoir leurs prix et réorganiser leurs offres, notamment à travers des doses fractionnées, plus accessibles.
Ainsi, la MDMA peut se trouver sous forme de « parachute », en dose unique de 100 ou 200 mg. Quant à la cocaïne, son prix élevé (70 euros en moyenne pour un gramme) est compensé par une distribution en petites parts (demi ou quart de gramme, voire même à la trace).
« La pratique de l’achat en groupe d’un simple gramme par des usagers à faibles revenus se diffuse », note l’OFDT dans sa revue Tendances de décembre 2014. « Il semble que cette accessibilité à bas seuil ait pour conséquence le maintien d’une clientèle déjà constituée, mais aussi la conquête de nouveaux usagers ».
Selon une récente étude de une étude de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, chaque Français dépense en moyenne 36 euros par an en substances illicites.
Drogues à la mode, packaging attractif
Pour s’adapter à la demande, et la dynamiser, les fabricants des substances doivent eux aussi se creuser les méninges, s’informer des tendances, être à l’écoute des dealers qui rapportent les retours du terrain. Et réagir quand les affaires sont en berne.
Tel a été le cas pour le marché de l’ecstasy, qui a connu son apogée en France dans les années 1990 avant de décliner progressivement, jusqu'à la pénurie en 2009. Les ruptures de stock ont entraîné une recrudescence des arnaques et une image délétère du produit, perçu comme ringard par la nouvelle génération de consommateurs.
« Pour pallier la pénurie, d’autres voies de synthèses se sont développées, explique Thomas Néfau, pharmacien, coordinateur national du dispositif SINTES (2) à l’OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies). Il y a alors eu une production de MDMA en cristal pour remplacer les comprimés. Pour de nombreux consommateurs, cette forme est apparue comme une nouvelle drogue – encore aujourd’hui, certains différencient l’ecstasy de la MDMA, alors qu’il s’agit du même produit ».
Le nouveau conditionnement, plus pur, inédit pour cette substance, a rencontré un fort succès parmi les usagers de drogue – en témoigne aujourd’hui la popularité de la MDMA dans le milieu festif, qu’il soit dit alternatif (festival, rave party) ou commercial (boîte de nuit, club). « L’élan a aussi profité à l’ecstasy, dont la consommation sous forme de comprimés a été relancée, avec de nouveaux logos, formes et couleurs plus attractifs », précise Thomas Néfau. Des cachets ont vu le jour, frappés du sceau de Facebook, Ferrari, Pacman.
Outre le conditionnement, le nom peut également être utilisé pour accroître l’attractivité d’un produit et générer des tendances de consommation. François Beck, directeur de l’OFDT, évoque ainsi l’exemple de la rabla, commercialisée il y a une dizaine d’années auprès des consommateurs de stimulants pour réduire les effets de la descente. En réalité, il ne s’agissait rien d’autre que d’héroïne – avec quelques produits de coupe – vendue sous une autre appellation. « Du coup, la substance ne portait pas l’image négative et les stigmates propres à l’héroïne ».
L'illusion d'un contrôle
Quel est l’impact exact de ces méthodes sur les consommations ? Difficile, à l’heure actuelle, de l’évaluer. Le marketing des drogues légales, pourtant mieux documenté, fait lui-même débat. A l’Assemblée Nationale, les députés hésitent à assouplir la loi Evin qui régit la publicité sur l’alcool. Le paquet de cigarette neutre, qui veut lutter contre l’attrait du packaging, est loin d’y faire l’unanimité.
En tout cas, les drogues illicites n’échappent pas aux phénomènes de mode. Concernant le cannabis, Julien se souvient des tendances qui se sont succédé au gré de ses années lycée et des vendeurs rencontrés. « Le pollen (poudre de résine) le sum (haschich sombre, plus fortement dosé), la fil rouge (herbe)… Bon, en réalité, on se faisait probablement arnaquer à chaque fois, mais nous avions le sentiment de varier les plaisirs ».
De fait, aussi professionnelles soient-elles, ces initiatives commerciales relèvent encore d'une science pour le moins incertaine. Elles peuvent par ailleurs augmenter les risques liés aux prises de drogues. « Il y a une dizaine d’années, nous avions observé la présence de microbilles de verre dans des sachets de marijuana, précise François Beck. L’objectif était de rendre l’herbe plus lourde, mais aussi plus brillante, plus reluisante ».
L’autre problème vient de la confiance que peuvent attribuer les consommateurs au produit du fait de son aspect. « Certains clients cherchent des logos ou couleurs spécifiques car cela est susceptible de leur apporter un repère s’ils ont déjà consommé une substance affichant ce même logo, précise la Mildeca (3). Cela ne prouve en rien l'origine ni la qualité de la substance ».
S'il est un argument qui résonne auprès des consommateurs, c'est en effet celui de la qualité. Ces formes soigneusement designées, ces noms marketés, peuvent les rassurer en leur donnant l'impression d'une marchandise contrôlée - un constat d'autant vrai pour les nouveaux produits de synthèse (NPS), dont le commerce se développe sur Internet, avec des méthodes toujours plus fines.
(1) Les prénoms ont été modifiés
(2) Tendances récentes et nouvelles drogues, système national d’identification des substances
(3) Mission Interministérielle de Lutte contre la Drogue et les Conduites Addictives
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