ENQUÊTE – Le projet de loi Santé ne devrait pas aboutir à une interdiction des cabines de bronzage. Et pourtant, elles sont cancérigènes pour l'homme.
« 10 séances d’UV, la 11e offerte », « Un mois de séances illimitées d’UV à 29,90 euros », « Séances d’UV pour être bronzée toute l’année »… Les arguments ne manquent pas pour attirer le chaland en institut de bronzage. Le maillage territorial est assez efficace puisque 10 700 établissements proposent des cabines d’UV artificiels. 600 vivent même exclusivement de ce commerce. Mais les spécialistes du secteur ont du souci à se faire : le gouvernement semble avoir décidé de resserrer d’un tour de vis les restrictions imposées à ce commerce.
C’est dans le cadre du projet de loi Santé que la position française vis-à-vis des cabines de bronzage devrait se jouer. Deux options seront opposées ces 24 et 25 novembre à l’Assemblée nationale : interdire purement et simplement ces appareils, ou prohiber « toute pratique commerciale visant à promouvoir ou à proposer des tarifs préférentiels ou des offres promotionnelles de prestation de service ».
Du tout ou rien face à des appareils dont les dégâts sont désormais bien avérés. « C’est une affaire qui ne date pas d’hier, mais elle traîne et va aboutir à un scandale sanitaire », estime Claudine Blanchet-Bardon, vice-présidente du Syndicat national des dermatologues-vénérologues (SNDV). La France était pourtant pionnière dans la réglementation de l’usage des cabines de bronzage. En 1997, l’Etat a décidé d’interdire leur accès aux mineurs, avant même que des études ne démontrent leur impact délétère sur la santé.
Taxer les cabines
Dans les années 2000, plusieurs équipes de recherche se penchent sur le sujet. « La communauté scientifique s’y est intéressée dès le départ parce que les cabines de bronzage émettent des UVA et des UVB à de fortes intensités, de manière intermittente. Elles sont principalement utilisées par des populations qui ont une peau claire, relativement jeunes, pour exposer des zones anatomiques habituellement couvertes. C’est exactement la carte de l’étiologie du mélanome », résume Mathieu Boniol, épidémiologiste à l’International Prevention Research Institute (iPRI). Ce chercheur est également l’un des cosignataires de la monographie du Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) qui a abouti à la classification des UV artificiels comme cancérigènes certains. Elle conclut que l’exposition aux cabines UV, au moins une fois dans sa vie, augmente de 20 % le risque de mélanome.
L’accès aux cabines de bronzage a beau être interdit aux mineurs, 3,5 % d’entre eux ont déjà profité de séances d’UV. Ce résultat est inquiétant car le risque de mélanome est dépendant de l’âge d’exposition. Lorsque la première fois a lieu avant 35 ans, il est accru de 59 %.
« Il semble de bon sens de cibler cette population jeune en priorité, tranche Pierre Cesarini, directeur général de l’association Sécurité solaire. Aujourd’hui, les séances d’UV ne sont vraiment pas chères. Notre association réclame la taxation des centres de bronzage, comme on le fait avec le tabac, avec des augmentations de prix nettes. Je parle d’une réelle taxe en vue de frapper au portefeuille les plus vulnérables, c’est-à-dire les jeunes et les personnes les moins bien informées. »
Des allégations fausses
Une mesure concrète est urgente car les idées reçues sont légion dans le domaine des UV artificiels. Un Français sur deux pense être bien informé sur le risque de cancer. Mais 24 % estiment que cette pratique permet de préparer la peau avant les vacances. Or, ce n’est absolument pas le cas.
« Le soleil en boîte, tel qu’il est pratiqué dans les cabines, n’a aucun intérêt pour la santé, rappelle Claudine Blanchet-Bardon. Les allégations affirmant que cela prépare la peau au soleil sont fausses, car les cabines n’ont pas le spectre solaire et ne protègent en rien. Cela ne permet pas non plus de fabriquer de la vitamine D. » Aucune protection et des appareils réglés au maximum : en France, 80 % des cabines émettent une intensité équivalente au soleil de midi en zone subtropicale (UV12).
Utilisés dans certaines maladies de peau
Les UV artificiels à visée esthétique n’ont aucun intérêt pour la santé. Mais ils peuvent être utilisés contre certaines maladies inflammatoires de la peau. C’est notamment le cas dans le psoriasis, l’eczéma de l’adulte ou encore le lymphome. Mais le traitement diffère totalement de l’exposition observée en institut. Les UV sont combinés à un médicament qui optimise leur action. Ils sont alors utilisés en cabinet dermatologique, selon un protocole précis, approuvé à l’échelle européenne. D’ailleurs, le nombre de séances est limité de manière drastique.
L'inaction française
Sur le plan politique pourtant, l’immobilisme domine depuis plusieurs années. En 2012, le SNDV a organisé une conférence de presse pour rappeler les risques liés à l’utilisation des cabines de bronzage. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a alors fait plusieurs annonces : suppression de la publicité, des abonnements, formation renforcée des professionnels notamment. « Trois ans après, rien n’a changé, regrette Claudine Blanchet-Bardon. On nous a annoncé que la publicité serait maintenue, et que 25 % de sa surface serait consacrée aux messages de santé publique. En 2015, on ne parle même plus de ces 25 %. »
De fait, le projet de loi Santé ne devrait plus mentionner que l’interdiction des gestes promotionnels. Le texte adopté au Sénat, qui ferme tout accès aux cabines de bronzage, a peu de chance de passer à l’Assemblée : Marisol Touraine a exprimé son opposition à une telle mesure. Il faut dire que le marché n'est pas négligeable : il porte 22 000 emplois. « C’est une petite déception, reconnaît Mathieu Boniol. La France était pionnière. On aurait pu garder cette avance et être plus fermes, en ayant une législation plus restrictive après la classification du CIRC. »
1 à 4 fois l'impact du Mediator
Le Plan Cancer 2014-2019 mentionne bien la diminution de l’exposition aux rayonnements des UV artificiel et naturels. Mais le texte ne fixe pas d’objectif de santé ou d’indicateur de résultat. « Il existe un décalage dans le temps entre la volonté politique affichée dans le Plan Cancer et sa mise en œuvre, établit Pierre Cesarini. Il manque une campagne en bonne et due forme, qui devrait arriver dans les mois ou les années qui viennent. C’est quelque chose de coûteux, qui demande beaucoup de préparation. On peut aussi penser que ce n’est pas simple à faire par rapport au lobbying. »
Avant même de penser à adopter de nouvelles régulations, déjà faudrait-il veiller à appliquer les anciennes. Car dans les faits, les réglementations en place sont peu suivies. Par exemple, les contrôles techniques des cabines, censés être réalisés tous les deux ans, sont régulièrement « oubliés » par les gérants selon une étude de l'Institut de Veille Sanitaire (InVS), réalisée en 2012. Elle a également souligné que les commerçants accolent les mentions obligatoires sur le bord de l’appareil qui fait face au mur – alors qu’elles sont censées être lisibles.
Les conséquences de cette inaction pourraient bien être dévastatrices. L’InVS a réalisé une estimation de l’impact du recours aux cabines de bronzage en population générale. 4,6 % des nouveaux cas de mélanomes sont dus à ces appareils, conclut ce travail, là aussi signé par Mathieu Boniol. « Environ 200 cas de mélanome par an sont attribuables aux cabines de bronzage et 40 à 50 décès, développe-t-il. C’est une à quatre fois l’impact du Mediator. » Mais la France ne semble pas décidée à suivre les exemples du Brésil et de l'Australie qui ont tous deux interdit l'utilisation des cabines de bronzage.
Quelle réglementation à l’étranger ?
Si la France ne semble pas prête à interdire les cabines de bronzage, deux pays ont déjà choisi cette solution face aux dangers de cancer de la peau. En 2009, le Brésil a été le premier à sauter le pas, suivi en 2015 par l’Australie. « Cela s’explique par le risque très élevé de mélanome auquel est fait face la population, originaire d’Ecosse ou d’Irlande, et qui est exposée à une dose d’UV faramineuse. Ajouter à cela des cabines UV n’était pas tolérable », explique Mathieu Boniol, épidémiologiste à l’International Prevention Research Institute (iPRI). La plupart des pays ont fait à peine mieux que la France. En Finlande, en Suède, en Norvège, au Danemark et en Islande, la dose maximale d’exposition annuelle a été limitée à 10 kJ/m2 contre 15 dans l'Hexagone.
L’Espagne a choisi la voie de la traçabilité, en faisant signer un consentement éclairé aux utilisateurs, qui doivent également conserver un carnet de bronzage. L’objectif est de ne pas dépasser la dose maximale d’exposition annuelle. Mais c’est sans doute le choix américain qui pourrait s’avérer le plus décisif. L’Internal Revenue Service (IRS) impose aux gérants d’instituts de bronzage une taxe de 10 % sur les services liés aux UV artificiels.