Alors que la lutte contre l'antibiorésistance s'organise en France avec la nomination à venir d'un délégué interministériel, les craintes s'accumulent sur la nature de ce fléau.
Dans une étude publiée hier dans la revue The Lancet Infectious Diseases, des chercheurs chinois indiquent qu'ils ont découvert un gène rendant inefficaces certains antibiotiques donnés en dernier recours quand les autres traitements ont échoué. Avec cette découverte, on peut imaginer que des infections aujourd'hui traitables puissent de nouveau tuer.
Des résultats "extrêmement inquiétants"
« Nos résultats sont extrêmement inquiétants », a souligné auprès de l'Agence France Presse (AFP) le Pr Liu Jianhua, de l'Université agricole de Canton (sud de la Chine), principal auteur de l'étude. Ce gène « de résistance », comme le chercheur l'appelle, a été mis en évidence sur des bactéries Escherichia coli dites « E. coli » (ou colibacille) retrouvées sur des animaux et 1 300 patients hospitalisés dans le sud de la Chine.
Dans leurs travaux, ces scientifiques expliquent que ces bactéries étaient jusque-là sensibles aux antibiotiques dits « de dernier recours », de la famille des polymyxines (colistine et polymyxine). En Espagne, Allemagne et Italie, ces produits sont beaucoup utilisés en réanimation et pour enrayer des infections graves, résistantes aux autres traitements antibiotiques. En Chine, en revanche, l'antibiotique est surtout utilisé en médecine vétérinaire.
Une souche capable de se propager
C'est en effectuant des test de routine sur des porcs que le Pr Liu Jianhua et ses collègues ont trouvé une souche de colibacille résistante à la colistine et capable de se propager à d'autres bactéries, comme la Klebsiella pneumoniae, responsable d'infections pulmonaires.
L'équipe a également découvert que cette résistance s'expliquait par la présence d'un nouveau gène (« mcr-1 »), susceptible de se copier en investissant une autre bactérie.
Une menace à l'échelle mondiale
Bien que limitée pour l'instant à la Chine, la résistance à la colistine pourrait se développer à l'échelle mondiale, s'inquiètent les auteurs des travaux. Des déclarations qui ont immédiatement suscité des inquiétudes chez les experts.
« C'est une étude très inquiétante dans la mesure où les polymyxines sont des antibiotiques qui sont souvent donnés en dernier ressort pour traiter des infections graves », a commenté à l'AFP Laura Piddock, professeur de microbiologie à l'Université de Birmingham (Royaume-Uni).
Egalement interrogé par l'Agence, le Pr Nigel Brown, de la société britannique de microbiologie, confie : « Maintenant qu'il a été démontré que la résistance peut se transférer d'une bactérie à une autre, une autre ligne de défense contre l'infection est en passe de tomber ».
Une mauvaise utilisation des antibiotiques
« Les super-bactéries hantent les hôpitaux et les unités de soins intensifs du monde entier », avait ajouté le Pr Piddock, avant de souligner que ce fléau est lié à la surconsommation et à la mauvaise utilisation des antibiotiques.
Leur usage massif dans les élevages a aussi été dénoncé à de nombreuses reprises ces dernières années, conduisant certains pays à prendre des mesures destinées à en restreindre l'usage.
Les auteurs de l'étude chinoise pensent pour leur part que la résistance à la colistine s'est « probablement » produite d'abord chez l'animal. Ils réclament donc en conséquence une « réévaluation rapide » de l'utilisation de cet antibiotique dans les élevages.