On dit qu’on mesure le degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses prisonniers. A ce titre, la France, patrie des droits de l’Homme, a peut-être quelques questions à se poser. Le Comité de prévention de la torture (CPT), émanation du Conseil de l’Europe, vient d’achever sa visite sur le territoire. Pendant deux semaines, ses membres ont inspecté les lieux de détention du pays afin d’évaluer le traitement réservé aux personnes privées de liberté.
Dormir par terre, faute de place
Et il n’y a pas de quoi pavaner. Le précédent rapport du CPT alertait déjà sur certaines dérives du système pénitentiaire, après une visite des prisons françaises datée de 2010. Cinq ans plus tard et à l'occasion de cette nouvelle visite, l'Observatoire International des Prisons revient sur les problématiques qui minent le système carcéral. Dans son rapport, l'OIP revient sur la thématique bien connue de la surpopulation carcérale, qui a explosé depuis la dernière visite du CPT France. Une réalité qui s’illustre de manière très concrète : « Le nombre de personnes détenues contraintes de dormir sur un matelas par terre a été multiplié par cinq (1006 au 1er janvier 2015 contre 204 en 2011) ».
La population carcérale a augmenté de 9,5 % en cinq ans, observent les rapporteurs. La situation est particulièrement préoccupante dans les (quartiers) maisons d'arrêt homme, qui concentrent près des deux-tiers de la population carcérale. « La densité carcérale y atteint 137 % en moyenne. Avec des pics à plus de 200 %, voire 300 % dans certains établissements ».
Dans ce contexte, le principe de l’encellulement individuel, qui aurait dû être strictement conçu et mis en place fin 2014, a à nouveau été repoussé et fixé à la fin de l’année 2019. L'OIP dénonce ce nouveau moratoire, alors que « le Gouvernement et le Parlement ont admis que le non respect de ce droit a des conséquences désastreuses, à la fois sur le plan de la dignité des personnes et sur celui du sens de la privation de liberté (…) : cohabitation forcée dans des espaces exigus, aggravation des tensions et des violences, détérioration psychique, état de stress permanent, sentiment de persécution… »
Risques d’incendie et d’électrocution
Des conditions de vie « dégradantes » ont été dénoncées à plusieurs reprises par l'OIP et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Le centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille, a ainsi fait la Une des journaux, avec ses « rats, cafards et autres nuisibles qui pullulent », ses « sols jonchés de détritus », ses « salles de douches crasseuses et défectueuses », ses « cellules dépourvues de cloison d'intimité pour les toilettes, voire d'éclairage ou d'accès à l'eau potable »…
Au-delà de ces conditions de vie peu reluisantes, l'OIP et le CGLPL ont observé de graves défaillances dans le système électrique, avec un risque important de départ de feux et d'électrocution. A ce jour, note le l'OIP, les travaux n’ont pas été réalisés, malgré les sommations de la justice. Le même constat s’applique dans d’autres centres de détention examinés par les rapporteurs (en Martinique et à Nîmes, notamment). Ces centres se trouvent en situation d’illégalité de par les dangers vitaux qu’ils font encourir aux détenus.
8 mois pour parler à un psy
Les rapporteurs se sont également penchés sur l’offre de soins en milieu pénitentiaire. Là aussi, l’immobilisme semble triompher puisque les constats sont les mêmes qu’en 2010. De nombreux postes, pourtant budgétés, ne sont pas pourvus. Résultat : « dans certains établissements, la sous-dotation en personnels de santé est particulièrement criante ».
L'OIP cite l’exemple du centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin, « où il faut huit mois d'attente pour démarrer un suivi régulier avec un psychologue, sept semaines pour obtenir des soins dentaires, quinze jours pour une consultation en psychiatrie, et jusqu'à sept jours pour la médecine générale ».
Autre exemple assez aberrant : « A la maison d'arrêt de Nîmes, il faut six mois d'attente pour un premier entretien avec un psychologue, alors que le temps moyen d'incarcération dans cette prison est de quatre mois ».
Prévention du suicide : un échec
Un autre point alerte l'OIP, concernant la politique française de prévention du suicide, inapte à atteindre ses objectifs. Cette politique, qui devrait être mise en œuvre par le ministère de la Santé, reste pilotée par l'administration pénitentiaire. Assez logiquement, elle est « axée principalement sur l'empêchement du passage à l'acte plutôt que sur le développement de la prévention et l'amélioration de la prise en charge des personnes en risque suicidaire et de leur entourage », notent les auteurs du rapport.
Depuis le plan de lutte contre le suicide en prison mis en place en 2009, quelques mesures phare ont vu le jour : la « surveillance renforcée » (multiplication des rondes de contrôle en cellule, notamment la nuit), la « dotation de protection d'urgence » (retrait des effets personnels pouvant être utilisés pour l’acte suicidaire) et placement en « cellule de protection d'urgence ».
« Ces mesures qui relèvent de la responsabilité des chefs d'établissement, sont largement décriées par les soignants qui dénoncent une approche éloignée de celle de la santé publique et qui ne fait qu’aggraver des états psychiques précaires », précise l'OIP, qui dénonce l’attitude de l’administration, laquelle communique sur la diminution du nombre de suicides en détention (115 en 2009, 93 en 2014), tout en passant sous silence le nombre de tentatives ou d'actes d'automutilation recensés. « Par ailleurs, aucune étude sur la souffrance en milieu carcéral, ses facteurs et la manière d'y répondre n'est menée », déplore encore l’instance.