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Reste dans le sperme

Neuf mois après, les survivants d'Ebola restent porteurs du virus

Par Anne-Laure Lebrun

Jerome Delay/AP/SIPA

Depuis 2 ans, l'Afrique de l'Ouest est frappée par une épidémie d'Ebola dont personne n'avait prévu qu'elle ferait autant de ravages. Alors que depuis la découverte du virus en 1976, la recherche était au point mort, en quelques mois des dizaines de laboratoires dans le monde ont dû lancer des essais. Un travail dans l'urgence qui a contraint les scientifiques à bouleverser leurs habitudes de travail.

Dix mois après avoir combattu le virus Ebola, l’infirmière écossaise, Pauline Cafferkey, a été victime d’une rechute. Le virus s’est réactivé et a provoqué une méningite en octobre dernier. Isolée durant plusieurs semaines au Royal Free Hospital de Londres, elle sera sauvée une seconde fois.

L’infirmière de 39 ans n’est pas la seule chez qui le virus s’est réveillé. Deux mois après sa guérison, le Dr Ian Crozier, parti lui aussi en Sierra Leone en 2014, souffre de troubles oculaires. Les analyses révèleront que le virus avait trouvé refuge dans son œil.

Mais ces rescapés rattrapés par Ebola sont-ils des cas isolés ? Pour le Dr Bertrand Draguez, directeur médical de Médecins Sans Frontières (MSF), la résurgence d’Ebola chez les survivants semble rare. « Sans doute existe-t-il des spécificités génétiques », explique-t-il.

Un avis que ne partage pas le Pr Eric Delaporte, directeur de l’Unité mixte internationale « Recherches translationnelles sur le VIH et les maladies infectieuses ». « Ces deux cas occidentaux ont pu être détectés grâce au système de soins des pays industrialisés. En Afrique de l’Ouest, on passe forcément à côté de ces cas-là car la maladie ne s’arrête pas à la sortie du centre de traitement (CTE) », estime-t-il.

Des survivants délaissés

A l’acmé de l’épidémie, il y a un peu plus d’un an, le médecin était sur place. « J’ai constaté qu’à la sortie des CTE, les survivants étaient livrés à eux-mêmes. On leur délivrait un kit compassionnel composé d’un peu d’argent et d’un paquet de riz et ils n’étaient pas suivis par la suite », raconte-t-il.

 

Ecoutez...
Eric Delaporte, directeur de l’Unité mixte internationale « Recherches translationnelles sur le VIH et les maladies infectieuses » : « Au tout début, il n’y avait même pas de bilans sanguins réalisés pour ces patients, ils sortaient des centres de traitement avec des anémies, des insuffisances rénales. »

 

Le besoin de mettre en place un continuum des soins à la fois médical et social est une évidence. En collaboration avec les universités et hôpitaux de Guinée, la France lance le programme de recherche « [Re]vivre après Ebola en Guinée » fondée sur le suivi à long terme de la cohorte PostEboGui. Le Pr Eric Delaporte en est le responsable.

C’est la première fois qu’une telle étude peut-être menée. De fait, jamais autant de malades n’ont survécu au virus. Ils sont la clé pour mieux comprendre son évolution dans l’organisme.

 

Des conclusions inattendues

Ainsi, dès la sortie du CTE, un mois après puis tous les 3 mois, des entretiens psychologiques et sociologiques sont réalisés afin de décrire les conséquences psychosociales d’Ebola. Des prélèvements sanguins et de fluides (urine, salive, selles, lait, sécrétions vaginales ou sperme) sont également effectués afin de détecter la présence du virus.

« Et nous sommes tombés sur quelque chose de totalement inattendu : les survivants d’Ebola restent porteurs du virus et peuvent contaminer les autres par voie sexuelle, commente le Pr Jean-François Delfraissy, coordinateur interministériel de la lutte contre Ebola. C’était complétement inconnu jusqu’à aujourd’hui. »

En effet, on sait désormais que le virus Ebola peut rester dans le sperme 9 mois après la guérison. Un risque de contamination réelle puisque les quelques cas récents au Liberia sont d’origine sexuelle. « Cela ne veut pas dire que l’épidémie va flamber sous cette forme. Par contre, elle peut être l’étincelle qui va engendrer le premier cas et conduire à l’émergence d’un nouveau foyer épidémique », prévient le Pr Eric Delaporte.

 

Ecoutez...
Jean-François Delfraissy, coordinateur interministériel de la lutte contre Ebola : « C'est un nouveau paradigme vraiment passionnant au niveau recherche. Pour nous Ebola, c'était one shot. Et bien pas du tout, il y a une maladie Ebola chronique qui peut s'installer. »


Depuis mars 2015, près de 500 patients participent à cette étude. Les chercheurs espèrent pouvoir enrôler plus de 700 personnes, soit près de la moitié des survivants guinéens déclarés guéris d’Ebola.

Parmi ces survivants, 20 % ont moins de 18 ans, dont une grande proportion de très jeunes enfants. Comme les adultes, ils présentent des manifestations articulaires, des uvéites. Mais qu’en est-il de leur développement et leur croissance ? Pour ces survivants d’Ebola, les conséquences de la maladie sont un mystère.

Lire la suite de notre enquête : 

Ebola : la science au chevet des malades

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