Fin de vie, cancer, sida, handicap, autant de thèmes de santé souvent lourds, mais qui occupent malgré tout régulièrement les grands écrans. Il y a quelques semaines encore, le film Quelques heures de printemps dévoilait un Vincent Lindon au cœur d’un drame aux résonnances très actuelles, sur la question du suicide assisté. Dans Intouchables, Omar Sy, le grand frère de banlieue en pleine force d' l'âge, aidait un paraplégique en quête de relations authentiques.
Les fictions abordant la maladie ou le handicap sont-elles plus nombreuses ces dernières années ? « La réponse est non. Depuis que le cinéma existe, la santé a toujours été un sujet de prédilection des réalisateurs, suivant l’exemple du théâtre et du roman qui ont mis, depuis l’antiquité, le soignant, et surtout le malade sur scène, explique Guy Lesoeur, anthropologue de la santé et psychanalyste. il n’y a actuellement pas plus de films à connotation médicale que dans les année 50, 60 ou 70. »
Ecoutez Emmanuel Ethis, sociologue du cinéma : « Les films qui concernent la maladie existent depuis les débuts du cinéma. La seule différence, c’est qu’aujourd’hui tous les pays producteurs de cinéma s’intéressent à ces sujets. »
Si le nombre de productions n'a pas véritablement changé, la façon dont sont traités ces sujets a largement évolué au cours des décennies. Aujourd’hui, la « médecine fiction » flirte de plus en plus fréquemment avec le documentaire, observent les spécialistes du 7 ème art. Fini l'image du médecin qui tenait le rôle emblématique. Le « bon docteur » est descendu de son piedestal; il exerce un métier comme un autre et peut être, lui aussi, touché par la maladie, l’angoisse ou l’amour. Souvent, il partage l'écran avec un aide soignant, un aide à domicile ou même un accompagnant.
Ecoutez Guy Lesoeur, anthropologue de la santé et psychanalyste : « Aujourd’hui au cinéma, le médecin ou l’infirmière a partagé son rôle de soignant avec l’aide à domicile. Par exemple, dans le film Intouchable, Omar Sy devient le héros, il n’y a plus de médecine, alors que tout le film est centré sur le handicap »
Témoin de notre temps, le cinéma n'échappe pas à cette mise en lumière. Mais les réalisateurs de fiction choisissent aussi la maladie parce qu'elle donne un ressort mélodramatique à une histoire. Même si «la médecine fiction » garde souvent une mission éducative. Dans ce cas, elle permet au spectateur de se projeter et d'imaginer ce qui l'attend s’il tombe malade.
Ecoutez Emmanuel Ethis : « On est très curieux de savoir comment on pourrait être pris en charge en tant qu’individu. La fiction aide à savoir tout ce qu’il est impossible de savoir quand on est patient. Il existe une angoisse sociale, à laquelle la fiction répond.
S'il accompagne les mouvements de société, le cinéma peut aussi contribuer à faire évoluer la représentation de la maladie. Le sida en est sans doute la meilleure illustration. Dans un premier temps, les films comme d'ailleurs la société, l’évoquaient sans en parler vraiment. Le nom était à peine prononcé. Des longs-métrages comme les nuits fauves sortis en 1992 ou même Philadelphia en 1993, ont contribué à le démystifier en montrant les malades et leur souffrance pour parler de la maladie. Mais attention, les spécialistes sont formels, ie cinéma doit rester le cinéma. Sur des sujets sensibles, les fictions ne doivent pas, selon eux, influencer l’opinion.
Ecoutez Guy Lesoeur : « En ce qui concerne l’euthanasie ou le suicide assisté, il faut faire attention avec le cinéma, à ce que les spectateurs gardent leur raison. »
Les sujets santé portés à l'écran, eux aussi, cèdent à l'effet de mode. Le sida ne fait plus recette, de même que la tuberculose. Depuis Le roman de Marguerite Gautier en 1936 ou l’Ecume des jours en 1968, la représentation de la tuberculose a disparu des affiches de cinéma. Les progrès de la médecine en la matière ont rendu cette pathologie moins présente dans nos sociétés occidentales, pourtant en 2010, 8,8 millions de personnes ont développé la tuberculose et 1,4 million en sont mortes d’après l’OMS.
Ecoutez Guy Lesoeur : « Le handicap est assez à la mode, et puis la greffe aussi… Dans le futur, on va voir aussi des films sur les prothèses. On pourra voir non pas des robots, mais des hommes chez qui on a remplacé certains organes qui joueront un rôle et ça deviendra presque une habitude. »
Et dans l'avenir ? Selon les professionnels, c'est le champ des maladies psychiatriques qui pourrait être exploré. Ce n’est pas tant que les pathologies comme la paranoïa ou la schizophrénie soient inconnues du public, mais les spectateurs n’ont pas toujours conscience que ces troubles psychiques sont véritablement des maladies. Des films comme Vol au dessous d’un nid de coucou sorti en 1975 ont certes déjà été réalisés, mais pour Guy Lesoeur, il y a encore un gisement de films à faire dans ce domaine, pour apporter un éclairage, tout en évitant le sensationnalisme de certains thrillers.