Au large des calanques de Marseille et Cassis, dans les eaux du Parc National, l'entreprise Altéo pourra continuer à déverser ses effluents aqueux, issus de la production d’alumine. Le préfet de la région PACA vient en effet d'annoncer le renouvellement de l'autorisation permettant au site de rejeter ses résidus en mer, à 7 kilomètres des côtes.
Cette décision a semé la discorde au sein du gouvernement, partagé sur le bienfondé de poursuivre ces rejets. Ségolène Royal a exprimé sa farouche opposition et dénoncé des pressions de la part du Premier ministre, favorable au renouvellement de l'autorisation. Dans un communiqué, Matignon a indiqué que la décision s'était fondée sur l'avis indépendant du Conseil supérieur de prévention des risques technologiques (CSPRT).
Une longue délibération
De fait, si des pressions ne sont pas à exclure, il serait faux de dire que les dés étaient pipés ce 22 décembre, lorsque le CSPRT s'est réuni pour voter. Pendant neuf longues heures - durée inhabituelle pour ce comité d'experts - la trentaine de membres présents ont débattu des « pour », des « contre », et des conditions.
Ce conseil est constitué de représentants de différents ministères, de syndicats, de défenseurs des intérêts des industriels, de membres d'associations sanitaires et environnementales. Ce jour-là, tous devaient décider si l'entreprise minière Alteo pouvait continuer à bénéficier d'une dérogation à la législation sur le rejet d'effluents en mer. En effet, certains polluants - l'aluminium notamment - dépassent de plus de 250 fois les seuils légaux (37 fois pour l'arsenic).
Selon nos informations, quatre scénarii étaient sur la table. L'un prévoyait l'arrêt immédiat des rejets ; les deux autres un renouvellement sous conditions (deux fois deux ans, ou deux fois trois ans). Le dernier, enfin, autorisait la société à rejeter les produits chimiques pendant dix ans, et ce sans conditions. Le plan étalé sur six ans a remporté la plus large adhésion (une petite vingtaine de voix), mais le scénario "2+2 » a échoué de très peu - à une ou deux voix près.
Une zone maritime très abîmée
Si les débats ont été particulièrement long, c'est que le comité, à l'image de l'administration, était très partagé. Pour le volet sanitaire, les avis se sont notamment fondés sur deux rapports relatifs à la contamination chimique des poissons et mollusques présents dans la zone et consommés par l'humain. Quelques 2000 produits de la mer ont ainsi été analysés.
Ces rapports préliminaires, réalisés par l'Anses et Ifremer, consultables sur le site du ministère de l'Ecologie, montrent que les animaux marins portent la trace incontestable des métaux (aluminium, titane, valadium) qui constituent la signature de ces rejets. La contamination, beaucoup plus élevée dans la « zone impactée », semble diminuer dans la "zone de référence » (non concernée par les rejets) retenue pour l'étude.
Les auteurs relèvent la piètre qualité chimique des eaux méditerranéennes, avec une « problématique de contamination marquée pour différentes substances dans les deux zones de prélèvement ». Pour autant, le risque sanitaire lié à la consommation de ces produits semble conforme aux seuils réglementaires, concluent-ils prudemment, en laissant malgré tout la question ouverte.
Le risque environnemental, quant à lui, n'a pas fait l'objet d'études spécifiques. S'en forger une idée n'est toutefois pas bien compliqué. Le site de production d'alumine déverse depuis près de cinquante ans ses résidus en mer. Plus de 20 millions de tonnes de boues rouges ont été ainsi rejetées dans les fonds marins de la fosse de Cassidaigne.
« Feu orange » pour l'exploitant
L'avis du Conseil exige de l'exploitant une évaluation des risques sanitaires liés à la consommation des produits marins, dans un délai de deux ou trois ans - une demande notamment appuyée par le ministère de la Santé. Alteo devra enfin prouver la conformité de ses activités à la réglementation sur les rejets atmosphériques d'ici 2018. Ces conditions devraient figurer dans le futur arrêté préfectoral.
« Il ne faut pas voir dans ce vote un feu vert, mais plutôt un feu orange », estime Jacky Bonnemains, président de l'association environnementale Robin des Bois, qui qualifie l'accord de « raisonnable". Une position partagée par France Nature Environnement, qui a également pris part au vote. « Il y eu un vrai débat, de vrais avis ont été exprimés pendant cette journée, même si nous restons en manque concernant les garanties environnementales », précise Maryse Arditi, qui pilote le réseau risques industriels de FNE.
Par souci de cohérence, ces deux associations auraient évidemment préféré l'arrêt des rejets. Mais une telle décision se serait traduite par la faillite immédiate du site, déjà faible économiquement - la gestion a changé quatre fois de mains en 12 ans. Quelques 700 emplois auraient été menacés. « Au moins avons-nous échappé au scénario de dix ans sans conditions qui a finalement recueilli peu de voix, y compris parmi les industriels, explique Jacky Bonnemains. Il y a malgré tout une forme de prise de conscience sur ce dossier, même parmi le noyau dur du Conseil ».
Des problématiques sanitaires multiples
Le vote reflète donc une position très consensuelle. Pour autant, les conséquences sanitaires liées à l'activité du site demeurent problématiques. Les boues, tassées et stockées à terre avant d'être rejetées dans la mer, émettent des poussières toxiques, chargées de métaux lourds, qui constituent un risque pour la santé des habitants des communes environnantes, comme Gardanne et Bouc-Bel Air. « Des études sont en cours pour évaluer la toxicité de ces particules fines sur les populations, notamment sur les enfants », précise Jacky Bonnemains.
Une menace plane également sur les nappes phréatiques qui, de fait, pâtissent des activités minières. En janvier, à Bouc-Bel-Air,une source a ainsi été contaminée par des résidus de bauxite (aluminium) en provenance de ce stockage.
Nos meilleurs voeux pour cette nouvelle année...Et surtout la #santé !!
Posté par Pourquoidocteur sur jeudi 31 décembre 2015