C’était au Libéria, en août 2014, lorsque l’épidémie d’Ebola était à son paroxysme. Alors que la région connaît fréquemment une recrudescence de la malaria, les malades d’Ebola qui se rendent aux centres de santé se voient systématiquement prescrire un médicament antipaludique. Un traitement standard leur est administré : un médicament antipaludéen de première ligne composé de la molécule de luméfantrine.
Alors que les malades ne cessent d’affluer, un centre du comté de Lofa, au nord du pays, se retrouve en rupture de stock. Les nouveaux arrivants reçoivent donc une dose d’artesunate-amodiaquine, un autre antipaludéen moins souvent utilisé par les professionnels de santé.
Pendant douze jours, ce centre de santé a fonctionné avec ce traitement contre la malaria, avant d’être réapprovisionné en artemether-luméfantrine. A ce moment, dans le feu de l’action, aucun changement significatif n’a été remarqué chez les patients.
Etude rétrospective
Six mois plus tard, une équipe de chercheurs de Médecins Sans Frontières s’est à nouveau repenchée sur cette affaire, après avoir eu connaissance de travaux qui montraient, in vitro, l’efficacité de la combinaison artesunate-amodiaquine pour lutter contre le virus d’Ebola. Ils ont alors analysé les données des patients, enregistrées par le centre de santé de Lofa.
« En fait, cette histoire est un peu un concours de circonstances. On s’est repenché un peu par hasard sur les informations concernant les patients qui avaient reçu l’artesunate-amodiaquine en août 2014. Alors nous nous sommes rendu compte qu’il y avait des différences de survie assez importantes, par rapport à ceux qui avaient pris l'association artemether-luméfantrine », se souvient Etienne Gignoux, un des auteurs de cette étude rétrospective, publiée dans le New England Journal of Medecine.
Le changement de traitement antipaludique avait été la seule modification dans la prise en charge clinique de ces malades. Les chercheurs ont par ailleurs vérifié qu’aucun autre facteur n’avait pu avoir un impact sur la mortalité, comme par exemple l’âge des patients ou leur charge virale.
Concrètement, leurs analyses mettent en évidence que le risque de mortalité des patients ayant reçu l’artesunate-amodiaquine au cours de leur traitement était inférieur de 31% par rapport à ceux qui n’avaient reçu que l’artemether-lumefantrine.
Piste de nouveaux traitements
Les tests de diagnostic de malaria posent des problèmes de sécurité, dans la mesure où ils s’appuient sur des analyses sanguines, avec un risque élevé de contamination pour les soignants.
Les antipaludéens étaient donc parfois prescrits aux malades sans savoir s’ils étaient réellement touchés par la malaria. L’étude montre que l’artesunate-amodiaquine fonctionne d’autant mieux contre Ebola que la personne n’était pas atteinte de malaria.
« A partir du moment où il n'y a pas de différences de toxicité entre les antipaludéens prescrits, on peut se dire qu'il vaut mieux donner l’artesunate-amodiaquine, qui améliore la survie des patients Ebola, notamment s'ils ne sont pas déjà atteints de paludisme », souligne Etienne Gignoux.
Selon lui, cette étude ouvre la voie à de nouveaux essais, pour mieux comprendre l'effet du médicament, la dose optimale à prescrire, et évaluer s'il peut devenir la base de nouveaux traitements dans l'épidémie d'Ebola.
Le plasma, sans risques mais peu efficace
Egalement publié dans le New England Journal of Medecine, les résultats de l’essai clinique Ebola-Tx, financé par l’Union Européenne. Il s’agit d’un plus large essai portant sur les effets de plasma de personnes convalescentes d’Ebola, recommandé par l’OMS.
Les chercheurs souhaitaient voir si le transfert de ce plasma à des individus malades pouvait les aider à lutter contre l’infection de manière efficace, grâce aux anticorps en présence. Jusqu’à l’épidémie de 2014, les produits sanguins de survivants d’Ebola n’avaient été utilisés que de manière limitée et expérimentale.
Cette étude, qui a porté sur 84 patients en Guinée, a comparé leur devenir à celui de 400 autres patients qui avaient été traités dans le même centre de santé, sans transfusion de plasma.
Bonne nouvelle : le transfert de plasma est sécurisé pour les patients, et ne présente aucun risque. En revanche, les doses administrées ne semblaient avoir aucun impact sur le taux de survie des patients participants.
Le problème de cet essai : avant la transfusion, les chercheurs ne connaissaient pas la quantité d'anticorps présente dans le plasma des convalescents. Des analyses sont en cours à Lyon afin d'obtenir cette donnée, qui devrait permettre de mieux adapter les doses de plasma transfusées, lors de prochains essais.
« Des prélèvements sanguins ont été pris lors de l’essai pour permettre le titrage des anticorps. Ce titrage, qui doit se faire dans le laboratoire spécialisé BSL4 de Lyon en France, nous permettra de déterminer s’il y a une corrélation entre le titre d’anticorps dans le plasma convalescent et celui du patient qui a reçu le plasma convalescent, ainsi que de la charge virale et de l’issue du patient. Ces résultats d’analyse pourraient démontrer que le plasma convalescent a un effet mais qu’il doit être donné plus fréquemment ou dans des doses plus élevés », explique le Dr Annick Antierens, chercheuse de Médecins Sans Frontières.
En précisant qus si une corrélation positive est déterminée, il sera important de mener une nouvelle étude sur l’efficacité du plasma donnée selon un protocole d’administration et de dosage différents, éventuellement en combinaison avec d’autres produits thérapeutiques, pour le traitement de la maladie