REPORTAGE - Les policiers ont été en première ligne lors des attentats de 2015. Un établissement, unique en France, accueille ceux qui se retrouvent en souffrance psychologique.
Il y a un an, la France vit pendant quelques jours dans l’effroi et la stupéfaction. Les attentats de janvier 2015 font 16 victimes, parmi lesquelles trois membres des forces de l'ordre. Outre le traumatisme engendré par ces attaques terroristes, policiers et gendarmes ont été très sollicités depuis pour protéger la population, dans le cadre du plan Vigipirate.
Des conditions qui ont pesé lourd sur leur santé psychique : des syndromes de stress post-traumatique ont été diagnostiqués chez certains, et une augmentation inquiétante des addictions aux psychotropes a été observée.
C'est à quelques centaines de kilomètres de Paris, dans un écrin de verdure près de Tours, que certains de ces patients pas tout à fait comme les autres sont pris en charge. Depuis plus de 60 ans, le centre du Courbat, créé par l'Association Nationale d'Action Sociale des personnels de la police nationale et du ministère de l'Intérieur, accueille les membres des forces de l'ordre confrontés au burn-out, aux addictions, ou à la dépression.
Une philosophie propre au centre
En pénétrant dans ce petit havre de paix, au milieu d’une forêt, le visiteur découvre un grand manoir, qui se dresse au bord d’un étang. Dans la fraicheur du matin, un groupe d’hommes et de femmes se rassemble peu à peu à l’entrée du bâtiment principal, une vieille bâtisse de pierres, pour l’appel du matin.
Ce sont en grande majorité des policiers et des gendarmes, de tous grades, venus au Courbat pour une durée d’un à deux mois. Ils sont ici pour entamer une véritable convalescence physique et psychologique. Ceux qui souffrent d’addictions sont d’abord passés par un sevrage, dans un des établissements partenaires du Courbat.
Le centre peut se targuer d’une prise en charge originale, basée sur la réappropriation du corps. Au delà des entretiens médicaux et psychologiques, somme toute classiques, des activités physiques et artistiques sont proposées. L'idée est de développer l’autonomie et l’estime de soi, en poussant les patients à se dépasser lors de ces ateliers, comme l'explique Frédérique Yonnet, directrice du Courbat.
Les nouveaux patients signent aussi un contrat de soins personnalisé, avec des objectifs concrets. Ils doivent, dès le début, préparer un projet de vie pour leur sortie, avec l’aide des soignants.
Pour cela, ils peuvent compter sur une personne bien particulière, qui fait du Courbat un lieu de prise en charge à part. Il s’agit de Billy, le policer assistant médico-social. Il vient lui même de la profession, et constitue le maillon entre le personnel de santé et les patients.
« Automatiquement, la confiance s’installe parce qu’ils se disent, Billy a été policier, il sait ce qu’on vit. Des fois, ils me font confiance avec des confidences qu’ils ne font à personne d’autre et mon rôle c’est de les écouter, et de les pousser à rétablir le dialogue avec les psychologues, de qui ils se méfient parfois » raconte t-il d’un ton enjoué.
Civils et policiers ensemble
Dernière originalité : comme Le Courbat reçoit le soutien de l’Agence Régionale de Santé Centre, il admet aussi des civils, originaires de la région. Un mélange qui permet un rapprochement qui paraissait impensable auparavant.
Kevin, un jeune patient du Courbat, a connu des périodes difficiles, et a vécu dans la rue. A l’époque, il se méfiait de la police, qui le délogeait parfois des endroits où il s’installait pour dormir. Au Courbat, la confiance envers les forces de l’ordre se réinstalle progressivement.
« Les barrières sautent, il n’est plus question de hiérarchie dans nos rapports. Ma vision a un peu changé, j’ai vu que ce n’était pas des abrutis, bien au contraire. Ils sont humains et parfois dégoûtés de leur métier parce que ce qu’on leur fait faire est difficile » explique le jeune homme.
Mauvaise presse
Alors que sa prise en charge est reconnue au niveau national, le centre n’a pas bonne presse dans le milieu de la police. Les patients du Courbat, comme Stéphane, racontent que leur appel à l'aide a pu être perçu comme un signe de faiblesse. « On hésite à dire qu'on va au Courbat, car après la hiérarchie hésite à vous confier certaines missions », se désole t-il.
La culture du groupe est forte dans la police, et l’individu affaibli peut être perçu comme une menace pour le collectif. « Pourtant, je vous assure qu’il faut un vrai courage, une vraie force de caractère pour venir ici et reconnaître qu’on a un problème », affirme Ivan, policier à Brest.
En effet, certains n'osent pas demander de l’aide, avec des conséquences parfois désastreuses. Le nombre de suicides est ainsi en augmentation dans les rangs de la police. D'autant qu'au delà du climat post attentat, l'ambiance de travail s'y dégrade déjà depuis plusieurs années, en raison d'une politique du chiffre délétère.
En 2014, le taux de suicide de la population générale était de 18 pour 100 000, alors que dans la police nationale, il atteint les 38 pour 100 000. Un plan national a été mis en place l’an dernier afin d'endiguer le problème. (voir encadré)
Au Courbat, on est très vigilant sur ce problème, et tout le personnel est formé à repérer le risque suicidaire, y compris le personnel d’entretien et de la cantine. Le centre travaille aussi étroitement avec les services de santé du ministère de l’Intérieur sur le sujet.
L’après Courbat : défis et succès
Même après un passage au Courbat, la guérison n'est pas assurée et reste un processus de longue haleine. Plusieurs patients en sont à leur deuxième, voire troisième séjour dans l'établissement. Par ailleurs, la mauvaise image véhiculée par le centre dans la police complique la réinsertion professionnelle.
Toutefois, les patients retrouvent en fin de séjour une certaine sérénité, qu’ils n’avaient pas en arrivant. Le Courbat ne les abandonne pas à leur sortie, il les pousse à poursuivre un suivi psychologique.
Récemment, Frédérique Yonnet a invité des élèves policiers à visiter le Courbat. Elle souhaite faire évoluer les mentalités dans la police au sujet du centre, en misant sur ceux qui seront aux commandes demain. En cette période de tensions, où de nombreux policiers ont pu être traumatisés, il est d'autant plus important qu'ils aient le courage de demander de l'aide sans craindre d'être mis à l'écart. Frédérique Yonnet s’attend à une nouvelle augmentation des demandes d'admission en ce début d’année, suite aux attentats du 13 novembre dernier.
Le plan suicide du ministère
Il y a un an aussi, en janvier 2015, le ministère de l’Intérieur, mené par son ministre Bernard Cazeneuve, a dévoilé un nouveau plan pour lutter contre le suicide dans la police. En 2014, les forces de police ont connu une recrudescence du nombre de suicides dans leurs rangs, avec 55 décès, contre une quarantaine en moyenne les années précédentes.
Plusieurs mesures ont été prises pour lutter contre ce fléau. Le ministère a notamment renforcé les effectifs du service de soutien psychologique opérationnel, un service qui regroupe des psychologues cliniciens répartis sur tout le territoire français. Avec 13 nouvelles recrues en 2015, le SSPO est maintenant composé de 73 professionnels, vers lesquels des policiers souffrants peuvent être référés.
Un agent volontaire est également nommé dans chaque service, comme « référent de l’accompagnement des personnels ». Spécifiquement formé, il oriente ses collègues vers les bons interlocuteurs en cas de besoin.
Autre mesure clé, tenter de réorganiser les cycles de travail pour améliorer la conciliation entre vie professionnelle et vie privée, car les longs horaires pèsent souvent sur les policiers.
Le plan suicide s'attaque aussi à un problème de fond, l’accès permanant des policiers à leur arme de service.
« La police est considérée comme une profession à risque notamment parce qu'elle a accès à un moyen léthal, souligne Catherine Pinson, qui dirige le SSPO. Vous avez un certain nombre de passages à l'acte qui se font de manière impulsive. Peut être qu'avec un accès limité à l'arme le scénario aurait été différent, c'est quelqu'un qu'on aurait pu aider »
Un dispositif a été testé dans le Val d’Oise, avec des casiers personnels dans lequel les policiers pouvaient déposer leurs armes en fin de journée. Pour le moment, aucun bilan n’a été dressé de l’initiative, mais l’idée était bien de réduire la mortalité en éloignant les agents de leurs armes.
Toute une démarche de prévention doit par ailleurs s’engager dans les services de police.
« Le tout est de travailler très en amont sur la prévention primaire, améliorer le lien entre vie professionnelle et privée, il faut les préparer à s’autoévaluer par rapport à leurs symptômes . Il faut que le policier, surtout s' il rencontre une difficulté, ait un accès privilégié et le plus précocement possible au médecin du travail qui se fera le relai avec l’extérieur si besoin. Il est essentiel que la confiance soit totale entre ce médecin et celui qui consulte, explique Florence Foullon, chef du service de médecine de prévention du ministère.
L'indépendance du médecin de prévention est indispensable et son rôle et ses missions doivent être bien identifiés. Il y a des structures qui se mettent en place, Le Courbat par exemple fait beaucoup d’efforts pour mettre en place des consultations adaptées ».