ACCUEIL > QUESTION D'ACTU > Cannabis : Valérie Pécresse agace les addictologues

Dépistage dans les lycées

Cannabis : Valérie Pécresse agace les addictologues

Par Marion Guérin

La proposition de Valérie Pécresse de réaliser des tests de dépistage du cannabis dans les établissements scolaires suscite l'agacement parmi les addictologues, fermement opposés à cette mesure. 

Sebastian Remme/REX/REX/SIPA

D’un côté, la politique et ses mesures « phare » ; de l’autre, la médecine et son pragmatisme. Sur la question du cannabis, les deux sciences peinent décidément à trouver des terrains d’entente. La récente actualité ne démentira pas ce constat.

Depuis que Valérie Pécresse, fraîchement élue à la tête du conseil régional d’Ile-de-France, a émis la proposition de réaliser des tests salivaires de dépistage du cannabis dans les collèges et lycées, les réactions fusent. Certains se réjouissent de voir la vis se resserrer, dans un pays où un jeune sur deux déclare consommer de la marijuana. Les autres déplorent une mesure prohibitive, nouveau symbole d’un Etat qui punit en se refusant à la prévention et à l’accompagnement.

Les addictologues, eux, ont tranché. Si beaucoup saluent la volonté de l’ancienne ministre de la Recherche de s’attaquer aux subtiles questions d’addiction, bon nombre jugent en revanche que la proposition relève d’une ineptie. Valérie Pécresse en a précisé les contours ce matin dans une interview sur France Info.

Une mesure inefficace sur le plan sanitaire

« Cette mesure n’a pas vocation à régler les problèmes d’addiction – par ailleurs réels – chez les jeunes, mais uniquement à rassurer les parents et les encadrants, estime ainsi le psychiatre Amine Benyamina, président de la Fédération Française d'Addictologie. Quelle aide propose-t-on ? Les dépistages n’ont aucun effet sur la prévalence de la consommation. Par contre, ils risquent de placer les adultes sur un mode inquisiteur, peu propice au dialogue avec les jeunes ».

De fait, l’efficacité des tests de dépistage dans les écoles est largement remise en cause. Dans les années 2000, le Groupe Pompidou, chargé des politiques liées à l’usage de drogues au sein du Conseil de l’Europe, s’est penché sur la question. Dans leurs conclusions, les experts jugent que « le dépistage ne préserve pas un jeune d’entrer un jour dans une situation d’abus de substances psychoactives » et s’inquiètent « du risque de stigmatisation et d’exclusion ».

Par ailleurs, ils rappellent que  « l’enseignant est chargé d’une mission pédagogique, censée apporter connaissances et aide dans le processus de maturation de l’enfant. Il n’est pas censé exercer une fonction policière ». Ils concluent enfin que « le principe de précaution » ne peut pas justifier ce qu’ils estiment être « une atteinte à l’intégrité des élèves ».
 

Favoriser une stratégie globale

Parmi les spécialistes de l’addiction, le scepticisme l’emporte donc. D’autant plus que Valérie Pécresse n’a pas précisé les modalités pratiques de sa proposition, difficile à appliquer. Par ailleurs, elle a indiqué que ces tests auraient « une vocation épidémiologique ». « L’idée, c’est de savoir si, dans la classe, il y a des problèmes de drogue ou pas ».

« Si le conseil régional souhaite concurrencer les études de l’OFDT (Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies), pourquoi pas… Mais alors pourquoi s’embêter à acheter des tests ? s’interroge le psychologue clinicien Jean-Pierre Couteron, président de Fédération Addiction. Les instituts parviennent à établir ces données sans tests de dépistage ! »

A la place d’un dépistage organisé et obligatoire, les addictologues préconisent le recours à une stratégie globale contre l’addiction. « Elle ne doit pas se résumer au cannabis, mais à toutes les formes d’addiction – alcool, ecstasy, jeux vidéo, Internet, téléphone… C’est un peu facile d’agiter le chiffon rouge du cannabis », juge Amine Benyamina.

Du côté de la Fédération Addiction, on rappelle l’existence des Consultations Jeunes Consommateurs, qui commencent à ouvrir des permanences dans certains établissements. « On forme les infirmières et les soignants au repérage des addictions, explique Jean-Pierre Couteron. Et ce, pour préparer à l’étape d’après, puisque le repérage en soit ne sert à rien s’il n’est pas suivi d’une démarche de soins ou de réflexion, selon les circonstances. Si la région a de l'argent, mieux vaudrait qu'elle finance ce genre de dispositifs ».