Enquête - Présentée comme un progrès social, la réforme des complémentaires santé pourrait conduire, à terme, à l'instauration d'une prise en charge à plusieurs vitesses.
Une grande avancée sociale. C’est en ces termes que le gouvernement présente sa réforme de la complémentaire santé, entrée en vigueur en ce début d’année.
Deux ans après l’Accord National Interprofessionnel (ANI) qui en a posé les fondements, la réforme constitue l’un des volets principaux de la politique gouvernementale, pour améliorer l’accès financier des Français aux soins.
Jusqu’ici, 4 millions de salariés, principalement dans les TPE et les PME (1), ne bénéficiaient d’aucune couverture santé d’entreprise. L’idée de la réforme était d’inverser cette tendance, dans un souci d’égalité entre tous les actifs du secteur privé.
De nouveaux contrats de complémentaire santé ont donc été négociés, branche par branche, et toutes les entreprises qui n’en avaient pas ont pu les proposer à leurs employés.
Pourtant, si elle partait d’un bon sentiment, la réforme n’a pas que des adeptes. Certains craignent notamment qu'elle ne confère trop de pouvoirs aux complémentaires, et qu’elle ne conduise à forme de médecine à deux vitesses.
Qui sort gagnant de la réforme ?
Parmi les quatre millions de salariés qui n’avaient pas de complémentaire santé collective, 400 000 salariés n’avaient pas non plus de mutuelle individuelle. Pour la première fois, ils ont accès à une protection complémentaire. Ils sortent donc gagnants de cette réforme, d’autant qu’ils partagent le coût de la mutuelle avec leur employeur.
Les organismes de complémentaires santé sont également renforcés par la réforme, puisque qu’elles gagnent de nouveaux assurés.
Qui est perdant ?
Sur les quatre millions de salariés non protégés auparavant par une complémentaire d’entreprise, 3,6 millions avaient déjà souscrit à titre privé à un contrat individuel. Celui-ci va donc désormais être transformé en contrat collectif.
Les cotisations vont être prises en charge par l’employeur, à hauteur de 50 % au minimum, mais en contrepartie un certain nombre de salariés va voir la qualité de son contrat se dégrader, surtout si leur entreprise leur propose un contrat basé sur le panier de soins minimum, défini par l’ANI. Celui-ci comporte les garanties de base que l’entreprise doit, au minimum, proposer à ses salariés. Problème : il est considéré comme peu protecteur par les experts.
Mais comme ce contrat est offert à prix cassé par les organismes de complémentaire santé, il risque d'être proposé à une grande majorité de salariés. Il s’agit bien d’un retour en arrière pour ceux qui bénéficiaient de contrats individuels de qualité, bien plus protecteurs. Le panier ANI rembourse notamment mal la prise en charge en optique et chez les spécialistes, avec un taux de remboursement de 100 % du tarif de référence de l'Assurance Maladie.
De plus, un rattrapage tarifaire devrait s'opérer sur ces contrats de base, dans les prochaines années, avec une forte augmentation des prix puisqu'ils ne sont actuellement pas soutenables.
La réforme ne s’adresse par ailleurs qu’aux salariés du privé. Cela signifie que les chômeurs, les fonctionnaires, et les indépendants en sont exclus. On est donc loin d’une généralisation à tous les Français. Pire, ceux-ci devraient même perdre au change. Une majorité de fonctionnaires bénéficie par exemple de contrats individuels. Or, le prix de ces derniers risque d’augmenter pour compenser les prix cassés des contrats proposés en entreprise.
En parallèle, à partir de janvier 2018, tous les contrats de mutuelles proposés aux salariés devront être « responsables », si l’entreprise veut continuer à bénéficier d’allègements fiscaux attractifs. Il s'agit d’introduire des plafonds pour les remboursements de certaines prestations, notamment en optique, et pour les dépassements d’honoraires. Tous les salariés verront donc le montant de leurs remboursements limité, pour un certain nombre de soins.
Les cas particuliers
Des dérogations sont en théorie possibles pour les salariés qui ne souhaitent pas bénéficier de la réforme.
C’est le cas des employés en contrats « précaires », en CDD, à temps partiel, ou en apprentissage. Par exemple, les personnes en CDD peuvent ne pas souscrire, s’ils justifient d’un contrat individuel proposant le même type de garanties.
De manière générale, les personnes qui ont récemment signé un contrat individuel peuvent le conserver jusqu’à ce qu'il arrive à échéance. Ils devront à terme se reporter sur celui de leur entreprise.
Enfin, les personnes qui sont couvertes par la mutuelle de leur conjoint peuvent également demander une dérogation.
Dans certains cas, les employeurs n’ont pas encore mis en œuvre la réforme, souvent par manque d’informations. Aucune sanction n’est prévue à leur encontre, le seul risque qu’ils encourent étant qu’un employé mécontent décide de les attaquer aux Prud’Hommes.
Les failles du système
Pour atteindre un niveau de protection élevé, alors qu’on ne leur propose qu’un contrat de base, certains salariés seront incités à prendre des surcomplémentaires. Or celles-ci risquent de leur coûter cher, même si là aussi, l’entreprise devra participer aux frais à hauteur de 50 %.
Problème de fond, le système voulait harmoniser les situations entre les salariés, mais risque finalement de les creuser un peu plus. Les grandes entreprises vont continuer à proposer des contrats de qualité à leurs salariés, tandis que les structures plus petites, qui souvent souscrivent pour la première fois à une complémentaire, vont être amenées à proposer un contrat de base. Des inégalités pourraient apparaître entre les salariés qui peuvent financièrement se permettre de s’offrir une surcomplémentaire, et les autres.
Au delà de ses dysfonctionnements de fond, se pose aussi la question de la pertinence de la réforme. En effet, en moyenne, le reste à charge d’un Français est de 200 euros par an. Prendre une mutuelle pour un risque financier aussi faible n’est pas forcément intéressant, en tous cas, pas lorsqu'on consomme aussi peu de soins.
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Complémentaires santé : une réforme à deux vitesses