Depuis le printemps 2015, l’Amérique du Sud et les Caraïbes se battent contre un ennemi redoutable ne dépassant pas un centimètre : le moustique Aedes aegypti et Aedes albopictus. Vecteur de la dengue et du chikungunya, il menace aujourd’hui le monde entier avec le virus Zika.
Au Brésil, ce virus aurait infecté entre 400 000 et 1 300 000 de personnes. Et alors qu’on pensait que la fièvre Zika était bénigne, on suspecte aujourd’hui un lien entre le virus et les 3 500 cas de microcéphalie, une malformation congénitale qui limite la formation de la boîte crânienne des enfants. Une augmentation suspecte qui a poussé les autorités brésiliennes à déclarer l’état d’urgence en décembre 2015.
Pour le moment, les médecins et les chercheurs ignorent si l’infection par Zika au cours de la grossesse en est la cause. Il est possible que cette anomalie du développement soit due à la circulation conjointe de plusieurs agents infectieux.
Face à toutes ces interrogations, des projets de recherche se mettent en place, notamment à l’Institut Pasteur. « Des études épidémiologiques sont menées pour comprendre la relation entre la charge virale chez la mère et l’apparition de cette malformation », explique Anne-Bella Failloux, entomologiste et responsable de l’unité Arbovirus et Insectes Vecteurs à l’Institut Pasteur. Ces études de corrélation devraient également permettre d’estimer la période de la grossesse la plus à risque, ainsi que le risque qu’une malformation pour l’enfant.
« Nous étudierons ensuite les mécanismes biologiques sous-jacents qui mènent au développement de cette malformation. Au sein de l’Institut, des équipes développent déjà des modèles animaux pour initier cette recherche », indique la chercheuse.
L'Institut Pasteur est également à l'origine du premier séquençage intégral du génome du virus Zika. Cette information est un point de départ important pour mieux comprendre l’évolution de son évolution.
Limiter la propagation du vecteur
Toutefois, par mesure de précaution, les femmes enceintes des pays touchés s’enduisent de répulsifs et se barricadent derrière des moustiquaires. Du côté des gouvernements, la prudence aussi est de mise. Aux Etats-Unis, on conseille aux femmes enceintes de reporter les voyage dans les zones infestés. La Colombie est allée encore plus loin en recommandant aux couples de ne pas faire d’enfant avant l’été prochain. Si ces mesures semblent radicales, elles reflètent l’inquiétude et l’angoisse qui gagnent ces pays.
De fait, aucun vaccin ni traitement n’existent pour combattre Zika. « Donc le seul moyen est de tuer le moustique ou éviter le contact avec lui », résume Anna-Bella Failloux. Parmi les moyens de lutte, l’épandage d’insecticide est le plus drastique. Mais aujourd’hui, les moustiques se sont habitués à vivre dans cet environnement hostile à leur développement.
En un mois, une femelle moustique pond 3 000 œufs
Durant l’hiver, Aedes albopictus n’est pas en activité. Il peut traverser une période de développement ralenti sous forme d’œufs, c’est ce qu’on appelle la diapause hivernale. Et lorsque les pluies arrivent, ces œufs éclosent. « En moyenne, une femelle pond 500 œufs tous les 4 à 5 jours et peut vivre jusqu’à un mois », explique la chercheuse. Ainsi, en une vie, une femelle moustique pond 3 000 œufs, dont la moitié seront des femelles. Une production massive qui rend la lutte contre ce vecteur plus que difficile.
Eradiquer le moustique, une solution à court-terme
A l’Institut Pasteur, les spécialistes des insectes vecteurs et arbovirus tentent donc de mettre au point des méthodes alternatives. L’une d’elles est le développement de moustiques incapables de transmettre le virus. En laboratoire de haute sécurité, ils infectent les moustiques puis les dissèquent afin de mieux comprendre la progression du virus dans leur organisme. Grâce à ces expériences, ils espèrent découvrir à quel moment cette progression peut être interrompue afin de bloquer la transmission à l’homme.
En parallèle, d’autres équipes de recherche manipulent génétiquement ces moustiques. Certaines essayent de stimuler la réponse immunitaire du moustique lorsqu’il est infecté. « Cet insecte peut héberger 1 milliard de particules virales sans être malade. Nous essayons donc de comprendre ce qui le protège », explique la chercheuse.
D’autres, comme la société britannique, Oxitec, développe des moustiques génétiquement modifiés, dont la survie dépend d'une une molécule particulière. Or, celle-ci n’est pas présente dans leur milieu naturel, ces insectes sont donc voués à une mort certaine. L’objectif de ce type d’approche est de lâcher ces moustiques OGM dans la nature afin qu’ils se reproduisent et donnent naissance à une descendance non viable.
Mécaniquement, cette approche permet de réduire la population de moustiques et donc les risques de transmission du virus. Mais pour Anna-Bella, cette technique peut s’avérer dangereuse. « Elle mène à une éradication du moustique ce qui signifie qu’une niche écologique sera vacante. Elle pourrait être remplie par d’autres moustiques, comme Aedes albopictus. Ainsi, cette stratégie pourrait être efficace si elle s’applique à plusieurs espèces, mais je ne suis pas sûre qu’elle le soit à long terme », conclut la spécialiste.