Face à un enfant tyrannique, les parents gardent souvent le silence. La honte de voir celui qu'on a mis au monde prendre le dessus est difficile à assumer en public.
Pour briser les tabous dans ces familles en détresse, des émissions ont envahi les écrans : Super Nanny, Pascal, le grand frère, etc. Mais à côté de ces show télé qui soignent la mise en scène, le CHU de Montpellier (Hérault) teste une prise charge spécifique pour ces parents maltraités et leurs "enfants tyrans". A l'initiative du projet, le Dr Nathalie Franc, pédopsychiatre, détaille pour Pourquoidocteur cette consultation.
Une véritable "tyrannie" familiale
Lancée en novembre 2015, elle s'inspire des travaux et du programme de "résistance non violente" (NVR) mis au point par Haim Omer, Pr de psychologie à l'Université de Tel-Aviv (Israël). Aujourd'hui, elle compte une quinzaine de parents (en couple ou seul) qui se réunissent dans un groupe comptant aussi deux pédopsychiatres et une psychologue. Les enfants au coeur des débats ont entre 5-17 ans et un profil bien particulier.
On parle d'enfant tyran, explique le Dr Franc, lorsque la hiérarchie familiale n’est plus respectée. « C’est-à-dire lorsque les parents n’ont plus la possibilité dans le foyer de décider ou de poser les règles éducatives qu’ils souhaitent », précise-t-elle.
Concrètement, l’ "enfant tyran" peut prendre le pouvoir de différentes façons. La plus classique est l’agressivité directe, verbale ou physique contre les parents, souvent lors de crises de colère. Mais il existe aussi d’autres processus, comme le fait de s’en prendre au matériel de la maison (casser des objets auquel le parent est attaché par exemple). Parfois, le putsch au sein de la maison peut même passer par la menace d'un suicide ou d'une fugue. Pour ces petits despotes, rien n'est exclu pour arriver à leurs fins...
Souvent, la tyrannie s’installe progressivement, et de façon sournoise, alors même que l’enfant ne présente aucun trouble du comportement en dehors de la maison, à l'école par exemple. Ce double visage, présenté par ces jeunes comédiens, retarde bien évidemment le repérage et la prise en charge de ce trouble psychiatrique non reconnu, mais habituellement relié au Trouble Oppositionnel avec Provocation (TOP). Celui-ci est pourtant « indispensable » et le Dr Franc appelle à faire « absolument » appel à des services spécialisés pour les famille qui se reconnaîtront dans ces schémas. « C'est justement l'objet de notre consultation », martèle-t-elle.
Sortir du placard avant tout
Une fois cette première étape franchie, les praticiens hospitaliers montpelliérains peuvent prodiguer les premiers conseils. Par exemple, il ne faut surtout pas que les parents reprennent le pouvoir par la force : « ça ne marche pas du tout, car dans ce cas, on sera dans une escalade de violence », souligne cette experte des troubles du comportement de l'enfant.
Même échec lorsque ils essayent de résonner l'enfant avec le dialogue, c'est-à-dire en verbalisant ou en essayant de le comprendre en étant constamment à l'écoute. « L'excès de communication n'est pas trop bon avec ces enfants, il aggrave le problème et remet les parents dans des schémas de soumission », indique-t-elle.
Les techniques de "résistante non violente" à appliquer doivent en fait recréer un équilibre, dans un mode d'interactions où le parent doit garder son calme et augmenter sa présence auprès de l'enfant, « mais sans être dans l'hyper explication (sur ce qu'il faut faire ou pas faire) ou la réactivité », conseille la spécialiste.
« Il s'agit du démarrage de notre consultation, pour remobiliser les parents, le reste de la prise en charge est plus complexe », reconnaît le Dr Franc. Par la suite, les médecins devront en effet réussir à faire sortir ses familles du secret, notamment en les poussant à demander du soutien dans leur entourage, cela afin de déstabiliser l'enfant ou l'adolescent. Perturber le schéma familial qui s'est établi au fil du temps reste donc l'essentiel de la mission des soignants.
Ainsi, ils espèrent faire comprendre à l'enfant souverain que ses parents ne sont pas seuls et qu'ils bénéficient d'un large soutien. Il est probable que ce dernier ressente aussi un peu de culpabilité, mais pas d'inquiétude, c'est un des buts recherchés par l'équipe médicale.
Enfin, comme l'entourage va lui faire savoir qu'il est au courant de son comportement il aura sûrement un peu honte. Au final, il en résultera un enfant tyran affaibli et des parents renforcés, de quoi réconquérir le pouvoir et rétablir une hiérarchie familiale normale.
De la dépression à la confiance rétablie
Un rééquilibrage des forces en présence qu'il est urgent de rétablir « car ses parents trop attentifs présentent presque tous des schémas dépressifs et n'ont plus aucune confiance parentale », a constaté le Dr Franc. Alors, même s'il est encore trop tôt pour dire si cette prise en charge marche, elle se réjouit qu'un petit échantillon qualitatif sur des parents montre déjà un sentiment de compétence parentale amélioré.
Et le Dr Franc est d'autant plus optimiste que le Pr Haim Omer a lui publié des études concluantes sur ces groupes et ces familles en utilisant les mêmes outils. « Grâce à cette thérapie, il a pu montrer une diminution des comportements violents et tous les aspects de la reprise de confiance des parents », conclut-elle.