« Lorsque ma pédiatre m’a proposée l’hiver dernier de vacciner mon fils de 3 mois contre la gastro-entérite à rotavirus, au départ j’ai hésité. Je savais qu’une gastro chez un tout petit pouvait être dangereuse, mais lorsqu’elle m’a dit que ce vaccin n’était pas dans les recommandations vaccinales et qu’en plus il coûtait 150 euros non remboursés par la sécurité sociale, j’ai finalement refusé », explique Clémence, jeune maman parisienne.
Pourquoi ferait-on un vaccin qui n’est pas recommandé par les plus hautes instances sanitaires de notre pays ? Une question que se posent parents et médecins alors que le seuil épidémique des diarrhées aigües a été franchi il y a quelques jours (203 pour 100 000 habitants). Deux vaccins, commercialisés en 2006, permettent aujourd'hui d'assurer une protection comprise entre 84 à 96% des formes sévères chez les nourrissons à partir de six semaines.
Une question à laquelle répondent aujourd'hui deux Sociétés savantes de pédiatrie. Le Groupe de Pathologie Infectieuse Pédiatrique (GPIP) et l’Association Française de Pédiatrie Ambulatoire (AFPA) publieront dans les prochains jours un texte dans les Archives de Pédiatrie, que pourquoidocteur s’est procuré. Ces spécialistes estiment qu’il est temps de reconsidérer la position des autorités françaises et de recommander la vaccination généralisée des nourrissons contre le rotavirus.
Ecoutez le Dr Marie-Aliette Dommergues, pédiatre au CH de Versailles : « Il faut revenir sur cette recommandation. Des études indépendantes ont montré ses bénéfices, on évite jusqu’à 90% des hospitalisations pour gastro-entérites à rotavirus. »
En France, l’infection à rotavirus, principal agent infectieux des gastro-entérites, serait responsable chaque année d’environ 300 000 épisodes de diarrhée aiguë chez les enfants de moins de 5 ans, dont 160 000 diarrhées sévères, avec en moyenne 13 à 14 décès annuels. Ces infections seraient à l’origine de 138 000 consultations par an et le nombre d’hospitalisations liées à ces infections est estimé à 18 000.
Pourquoi le Comité Technique des vaccinations (CTV) ne le recommande pas ? Tout d’abord, en 2010, au moment du dernier avis du Comité sur cette vaccination, une légère contamination par un virus porcin avait été identifiée dans les deux vaccins disponibles. Même s’il ne représentait pas de danger pour la santé humaine d’après les autorités de santé, depuis, ce virus porcin a été supprimé des lots de vaccins mis sur le marché. Ensuite, les experts avaient estimé que le léger risque d‘invagination intestinale, une urgence médico-chirurgicale, dans les 7 jours suivant la vaccination faisait également pencher la balance en faveur du non. Enfin, le dernier argument qui a convaincu les experts de ne pas recommander cette vaccination, c’est l’argument économique. Les vaccins buvables actuellement sur le marché coûtent trop cher, environ 150 euros pour les 2 ou 3 doses nécessaires.
Ecoutez le Pr Daniel Floret, président du Comité technique des vaccinations: « Nos études médico-économiques montrent qu’au prix où est vendu le vaccin actuellement, cette vaccination n’est pas coût efficace, même si elle permet de réduire la maladie, elle ne fait pas faire d’économie à l’Etat. »
Le Pr Daniel Floret ajoute : « Cet avis sera de toute façon revu, nous revoyons régulièrement les avis. Pour l’instant ce vaccin reste non recommandé. Cela ne veut pas dire qu’il est mauvais, au contraire, c’est un vaccin qui marche bien. Malheureusement en santé publique, on ne peut pas tout faire, il faut avoir des priorités et pour le moment, il ne nous semble pas que la vaccination contre le rotavirus soit une priorité. »
De nombreux pédiatres ne partagent pas cet avis. Même si la gastro-entérite n’est généralement pas une question vitale, chaque année en France, les rotavirus ont de lourdes conséquences : 18 000 hospitalisations et une dizaine de décès d’enfants de moins de 5 ans. Le coût annuel de l’infection est estimé à 28 millions d’euros pour le système de santé. Autre problème majeur, le rotavirus est une cause fréquente d’infection nosocomiale.
Ecoutez le Dr Marie-Aliette Dommergues : « C’est un virus très contagieux, assez résistant aux mesures d’hygiène, donc le petit bébé hospitalisé pour une bronchiolite peut être contaminé par un rotavirus. »
Pour ces spécialistes, les différents points qui ont fait douter les experts au moment d’émettre la recommandation en 2010 ont été élucidés. En effet, plus aucune présence de virus porcin dans les produits sur le marché et même s'il demeure un risque d’invagination intestinale, il est vraiment léger et concerne seulement 1 à 2/100 000 nourrissons vaccinés dans la semaine qui suit l’administration de la première dose.
Ecoutez Marie-Aliette Dommergues : « Tous les hivers à l’hôpital, on voit des enfants extrêmement déshydratés, dont certains finissent en réanimation. Il est dommage de priver nos jeunes nourrissons de ce vaccin très efficace et bien toléré. »
Reste donc l’évaluation médico-économique qui pose problème aux autorités. Depuis l’avis négatif du CTV en 2010, le prix du vaccin n’a pas baissé. Pour les Sociétés savantes qui publieront bientôt leur propre avis dans les archives de Pédiatrie, « il paraît étonnant que des pays dits pauvres ou des pays à revenus intermédiaires aient pu généraliser cette vaccination et que la France ne puisse pas le faire. » Un pédiatre confie : « Une négociation des prix entre les fabricants et les autorités de santé doit tout de même être possible pour que cette vaccination devienne coût-efficace ».
Mélanie Gomez
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Le Dr Marie-Aliette Dommergues déclare des : interventions ponctuelles : activités de conseil (GSK) ; invitations en qualité d’intervenant (GSK, Sanofi-Pasteur MSD) et d’auditeur (frais de déplacement et d’hébergement pris en compte par une entreprise) (GSK, Sanofi-Pasteur MSD)