Enquête - La journée internationale de Tolérance Zéro aux mutilations sexuelles se déroule ce samedi. La France s'est imposée comme un modèle pour lutter contre la pratique, mais 53 000 femmes excisées vivent toujours dans l'Hexagone.
Peu de mutilations sont aussi lourdes de conséquences que l’excision. Hémorragies, infections, douleurs lors des rapports ou de l’accouchement, les complications associées aux mutilations sexuelles féminines sont variées, et peuvent affecter les victimes sur le long terme.
En France, la prise en charge médicale et psychologique s’est beaucoup développée depuis une trentaine d’année, notamment grâce à la vision d’un homme : le Pr Pierre Foldès.
Cet urologue français a été confronté à l’excision lors de missions humanitaires au Burkina Faso, dans les années 80. En découvrant les séquelles laissées par l’excision, et à force d’opérer, ce médecin a mis au point la première méthode de réparation chirurgicale des mutilations sexuelles, « la transposition du clitoris ». Il s’est par ailleurs battu pour que cette opération soit remboursée en France par la Sécurité Sociale, à 100 %. C’est chose faite, depuis 2004.
Sa technique chirurgicale a fait du Pr Foldès une référence à l’international, et son efficacité a été évaluée dans une grande étude publiée dans The Lancet. Le Pr Foldès a depuis formé des dizaines de chirurgiens français et étrangers, et a opéré des milliers de victimes.
Grâce à ses travaux, la France est aujourd'hui l’un des rares pays à proposer la réparation chirurgicale, et surtout, le seul à le faire sans que la femme n’ait à payer.
L'exemple de St-Denis
Parmi les médecins formés auprès du Pr Foldès, des chirurgiens exerçant à l'hôpital Delafontaine, à St Denis. Le 93 est probablement le département dans lequel vivent le plus de femmes excisées.
Les gynécologues de ce centre hospitalier étaient souvent confrontés à ce problème. Près de 14 % de leurs patientes présentaient en effet des mutilations au niveau des organes génitaux externes.
Or, l’hôpital de St Denis avait la chance de compter parmi ses équipes des professionnels de différents horizons, gynécologues, psychologues ou sexologues, tous engagés sur le sujet. Il y a trois ans, ils ont donc monté l’une des premières consultations françaises, spécifiquement dédiée aux femmes ayant subi ces mutilations, afin de leur proposer une prise en charge globale.
Le Dr Bounan, chef du service de gynécologie, est l’un des médecins à l’origine de ce projet. Il opère une centaine de femmes tous les ans, grâce à la technique du Pr Foldès. Mais celles-ci ne représentent que la partie émergée de l’iceberg.
Les femmes sont en effet nombreuses à venir rencontrer l’équipe de St Denis, mais elles ne se font pas toutes opérer. Leurs symptômes et leur ressenti face à l’excision peuvent être très différents selon leurs histoires personnelles.
La première étape de la rencontre avec les médecins, à Saint Denis, passe d’abord par un diagnostic lésionnel. En fonction de la mutilation, les conséquences anatomiques ne vont pas être les mêmes, et le chirurgien gynécologue va, dans un premier temps, chercher à comprendre comment la personne est affectée.
Il détermine ensuite si la patiente peut tirer des bénéfices de la chirurgie. Celle-ci discute aussi longuement avec la psychologue et le sexologue, afin qu’ils évaluent comment elle vit le fait d’avoir été excisée.
La chirurgie, pas toujours justifiée
La structure de St Denis connaît un certain succès, car pour chaque patiente, un parcours de soins individuel est défini, afin de personnaliser la prise en charge. L’opération n’a lieu qu’après un temps de réflexion, seulement pour certaines femmes. « Sur 15 000 consultations, je n’ai opéré que 3000 femmes », souligne le Pr Foldès.
« On a des patientes qui souffrent de dyspareunies sévères, des douleurs abominables pendant les rapports. Pour elles, l’opération s’impose dans la grande majorité des cas » explique le Dr Bounan. De même, si la femme connaît une absence de plaisir, et aussi souvent de désir, la question de l’opération est légitime.
D’autres victimes sont « réparées », même si elles ne souffrent pas sur le plan physique. Ce sont d’une part celles qui vivent leur excision comme une injustice, une véritable atteinte à leur identité, qui ne peut se solutionner que par la chirurgie. D’autre part, il s’agit des femmes qui ont honte de leur apparence, et fuient alors les rapports sexuels.
La chirurgie n’est toutefois pas toujours justifiée. « Quelque fois, les femmes sont tellement en situation de détresse psychologique, elles ont vécu tellement d’horreurs que finalement, l’excision est le cadet de leurs soucis. Dans ces cas là, la psychologue peut les accompagner ou les orienter vers des structures plus adaptées à leur cas» confie le Dr Bounan.
Il estime que la chirurgie n’est efficace que parce que celle-ci s’accompagne d’un suivi psychologique et sexologique au long cours.
Redonner espoir
Les médecins hospitaliers ne sont plus les seuls à s'intéresser à la question. « Aujourd’hui, les médecins traitants osent plus aborder le sujet avec les femmes, car ils savent qu’ils peuvent les orienter vers des structures adaptées. Avant, ils pouvaient être plus réticents, car ils n’avaient pas de solutions à leur proposer » souligne le Dr Bounan.
Les généralistes continuent néanmoins à souffrir d’un manque de formation sur le sujet. En tant que premier interlocuteur des femmes, leur rôle est crucial afin d'ouvrir le dialogue sur la pratique.
« Quand on veut pas voir, on ne voit pas. Pour repérer les mutilations et pour aider les femmes, il faut avoir été formé. Chez les jeunes médecins, la prise de conscience commence à se faire », souligne Gilles Lazimi, généraliste à Romainville.
Très investi sur la question des violences faites aux femmes, ce professionnel souhaite que ses confrères posent la question des mutilations, et sonnent l’alerte en cas de doute. Car le rôle des médecins n'est pas seulement de réparer, il est aussi de prévenir.
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Excision : 53 000 femmes victimes en France
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