REPORTAGE – 10 patients en une demi-journée. La consultation PrEP (Prophylaxie Pré-Exposition) dédiée aux personnes à haut risque de contamination par le VIH est très sollicitée à l’hôpital Saint-Louis (Paris). Reportage dans les murs d’une structure pionnière.
Cette salle de consultation ressemble à toutes les autres, à première vue. Le bureau exigu et anonyme est situé au sein du service des maladies infectieuses de l’hôpital Saint-Louis (Paris), dirigé par le Pr Jean-Michel Molina. Il constitue pourtant le point de départ d’une révolution dans la prévention du VIH : depuis le 10 novembre 2015 s’y tient la consultation PrEP (Prophylaxie Pré-Exposition). Les médecins qui la tiennent prescrivent du Truvada à des personnes à haut risque de contamination. Reportage au cœur de ce service pionnier.
« Cela fait 20 ans que j’angoisse »
La prévention du VIH par un médicament ne va pas de soi en France. Le milieu associatif a réclamé en janvier 2013 l’autorisation du Truvada dans cette indication. Ce n’est qu’en janvier 2016 que l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) a accordé sa Recommandation Temporaire d’Utilisation (RTU) – qui permet un usage pendant 3 ans. Il ne s’agit pas de renier l’utilité du préservatif, mais bien de répondre à une exigence de santé publique. Depuis 2007, le nombre de découvertes de séropositivité s’est stabilisé à 6 600 par an. Cette statistique dissimule une réalité pour le moins disparate : 42 % des cas concernent des hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes (HSH). De ce fait, ils constituent la principale population visée par la PrEP.
Stan fait partie de cette catégorie. « Cela fait 20 ans que j’angoisse d’avoir le VIH parce que j’ai eu des amis, des amants et des petits amis séropositifs, souffle-t-il, les bras croisés sur son manteau. Le virus est présent dans notre communauté de manière importante, on ne peut pas le nier. » A 36 ans, il a l’âge moyen du diagnostic de séropositivité. C’est ce qui l’a poussé à se rendre à la consultation de Saint-Louis pour la première fois. Ce ne sont pas les murs gris historiques de l’hôpital qui l’abritent. Comme un symbole, le service des maladies infectieuses est situé au sous-sol du bâtiment baptisé « Nouveau Saint-Louis ». L’homme doit d’abord franchir un escalier afin d’y accéder.
Déconstruire les idées reçues
La consultation commence par un entretien avec Khafil Moudachirou, militant d’AIDES et accompagnateur détaché à l’hôpital Saint-Louis. Cet homme au sourire débonnaire enseigne aux usagers le schéma de PrEP à la demande : les comprimés d’antirétroviraux doivent être pris en fonction des rapports à risque. Avec toute la douceur qui émane de lui, il saisit l’occasion pour aborder les usages de drogues, la prévention des autres infections sexuellement transmissibles (IST) et les prises de risque. « Le but, c’est de déconstruire les idées reçues qu’ils peuvent avoir sur les rapports à risque. On les alerte notamment sur le fait que la PrEP ne protège pas des autres IST », précise-t-il. Les usagers sont donc incités à sélectionner les partenaires avec qui ils abandonnent le préservatif au profit du Truvada : plutôt des personnes de confiance, qui alerteront sur une éventuelle IST.
Stan, déjà bien renseigné sur la PrEP, aborde des sujets pointus avec le Dr Diane Ponscarme. Mais l’infectiologue ne laisse jamais partir personne tant que « l’examen final » n’a pas été passé. Au programme, des questions suffisamment subtiles pour piéger ceux qui ne maîtrisent pas totalement les modalités. Et Stan échoue. « Revoyez le schéma avec Khafil, il faut l’avoir intégré de manière automatique », martèle-t-elle.
Stan quitte tout de même la pièce avec son ordonnance de Truvada, mais Khafil Moudachirou l’attend dans la salle d’attente. Ensemble, ils revoient une dernière fois le schéma à la demande. Dans un mois, il reviendra à l’hôpital Saint-Louis pour faire le point. Ensuite, des rendez-vous seront programmés tous les trimestres.
« J’ai développé une grande lassitude »
Ce jour, dix hommes se succèdent dans le bureau de Diane Ponscarme. Collier d’ambre et foulard bordeaux au cou, elle mène sa consultation d’une main de maître. Sans détour ni jugement, l’infectiologue amène les hommes à se confier sur leurs prises de risque. Philippe réalise sa troisième visite. Il a commencé à prendre la PrEP « en sauvage » dès mars 2015, sans prescription ni suivi médical. Des séropositifs sous traitement partagent parfois leur Truvada avec des connaissances séronégatives. Conscient des risques de cette méthode, Philippe a rejoint la consultation de Saint-Louis dès son ouverture.
« Je n’ai jamais pris de plaisir avec le préservatif. Avec le temps, j’ai développé une grande lassitude, confie-t-il. Le porter systématiquement est devenu de plus en plus difficile. Maintenant, dès que je prévois un rapport je prends la PrEP et si je porte un préservatif, je ne continue pas le traitement. » Le schéma à la demande prévoit en effet de prendre deux comprimés jusqu’à deux heures avant le rapport, puis un comprimé dans les 24 heures et un dernier dans les 48 heures. Si le rapport n’a pas lieu, ou avec préservatif, la deuxième partie de la PrEP n’est pas nécessaire.
Un outil de prévention combinée
C’est la force de cette nouvelle modalité de prévention : elle complète les moyens déjà à disposition. Assis dans une chambre de l’hôpital de jour qu’il occupe le temps de l’après-midi, Khafil Moudachirou le confirme : la PrEP n’a pas vocation à supplanter le préservatif. Pour preuve : le stock à la disposition des usagers s’est bien vidée en une demi-journée. « C’est un outil de prévention comme tous les autres, qui entre dans le cadre de la prévention combinée », souligne-t-il.
La prescription est établie pour 3 mois. Le document s’accompagne d’un bilan sanguin. Il permettra de s’assurer que la PrEP est bien tolérée, mais qu’il n’y a pas eu de contamination au cours de cette période. C’est une condition obligatoire inscrite dans la recommandation temporaire d’utilisation.
Le Dr Ponscarme commence donc par vérifier le bilan sanguin de Philippe, avec une attention particulière pour la sérologie VIH et la créatinine, un marqueur de la fonction rénale. En effet, le Truvada peut s’avérer toxique pour les reins. L’infectiologue passe aussi en revue les autres IST pour établir d’éventuels traitements. Pour chaque usager, elle vérifie les vaccinations contre les hépatites virales, les prises de risque passées. Autant de questions qui permettent de développer une stratégie personnalisée.
La fierté des participants à l’essai Ipergay
Ils sont les pionniers de la PrEP en France. 400 hommes ont intégré l’essai Ipergay dans le but d’évaluer l’efficacité du Truvada en prévention d’une infection par le VIH. Grâce à leur implication, le médicament a reçu sa Recommandation Temporaire d’Utilisation. Pourquoidocteur a rencontré Franck, le premier patient à avoir rejoint l’essai clinique. « On est en train de vivre une vraie révolution », estime-t-il. Comme beaucoup, il ne s’attendait pas à un changement de cette ampleur. Une « bonne surprise », admet-il. Avec prudence toutefois. « On verra par la suite s’il y a une baisse du nombre des infections par le VIH et des autres infections. » De fait, l’information sur les IST (gonocoques, syphilis, chlamydia…) dans le cadre de la consultation PrEP peut favoriser le recul de celles-ci. C’est ce qui pousse Franck à souhaiter une autorisation permanente du Truvada en prévention du VIH. Mais pas dans n’importe quelles conditions. L’encadrement médical doit rester aussi strict que celui proposé actuellement.